Quand le tabac part en musique : Les Volontaires S01E03

« Quand le tabac part en musique » est l’épisode 03 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

La musique adoucit les mœurs, mais aide-t-elle à arrêter de fumer ? Le journaliste et docteur en neurosciences Chandrou Koumar a suivi deux volontaires à une étude de l’Inserm unique en France, qui se consacre aux étudiants et aux soignants qui fument et aux effets de la musicothérapie sur cette addiction. Océane a 20 ans et subit le stress des examens universitaires, Estelle est infirmière et évoque le paradoxe de conditions de travail à l’hôpital propices au tabagisme. Toutes deux se rendent régulièrement au CHU de Poitiers où, allongées sur un brancard, elles écoutent pendant une vingtaine de minutes une musique agréable. Pour quels effets sur leur cerveau et leur addiction ? La réponse… en musique !

Invités

  • Claire Lafay-Chebassier est pharmacienne pharmacologue au CHU de Poitiers, pharmacienne déléguée du centre d’investigation clinique 1402 de l’Inserm et chercheuse au Laboratoire de neurosciences expérimentales et cliniques. Elle coordonne l’étude sur l’impact de la musicothérapie sur l’arrêt du tabac.
  • Carole David est infirmière. Elle se charge du suivi des volontaires de l’étude sur l’impact de la musicothérapie sur le sevrage tabagique.
  • Nicolas Palierne est sociologue. Elle rencontre les participants à l’étude sur l’impact de la musicothérapie sur l’arrêt du tabac.

Écouter l’épisode

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Transcription de l’épisode

Musique

Chandrou : Bonjour, vous écoutez Les Volontaires, le podcast qui va à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm. L’Inserm, c’est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine. Je suis Chandrou Koumar, journaliste, docteur en neurosciences. Pour cet épisode sur la musique, je ne vais pas rencontrer des artistes, mais tout un écosystème scientifique et médical. L’objectif ? Aider les fumeurs quand ils veulent arrêter de fumer. C’est classe, hein ? À vos écouteurs ! Prêts ? Stoppez ! On va s’intéresser à une étude qui se consacre aux soignants et aux étudiants qui fument. Pour découvrir tout ça, je suis venu à Poitiers et là je suis juste en face de l’hôpital.

Sifflements d’oiseaux

Chandrou : Je vais à la rencontre d’Estelle et d’Océane, deux volontaires courageuses qui tentent d’arrêter le tabac. Ainsi que Claire Lafay-Chebassier, Carole David et Nicolas Palierne, qui collaborent au sein de deux laboratoires Inserm.

Anonyme : Bienvenue au centre d’investigation clinique Inserm 1402 du CHU de Poitiers, euh…

Chandrou : Je vous suis ?

Anonyme : Oui, s’il vous plaît.

Chandrou : Allez, c’est parti !

Claire : Je suis le docteur Claire Lafay-Chebassier. Je suis pharmacien de formation, pharmacologue. On a choisi d’utiliser une intervention non pharmacologique, non médicamenteuse, qui est la musique et qu’on va utiliser… on va l’adosser en fait au traitement de référence du sevrage tabagique, qui est la substitution nicotinique, avec des patchs ou encore avec des gommes à mâcher, par exemple.

Carole : Bonjour, Océane, comment ça va ?

Océane : Eh bien, ça va très bien, ça va. Tout se passe bien.

Carole : Ouais ? Les examens, tout ça, c’est fini ou pas encore ?

Claire : La littérature l’a montré : le fait d’écouter une musique personnalisée, agréable, eh bien ça permet d’activer différentes régions cérébrales et notamment des régions cérébrales impliquées dans les émotions, dans la gestion des émotions, et aussi dans le circuit de la récompense, et qui est effectivement un circuit très important dans l’addiction, et que cette écoute de musique personnalisée, agréable permettrait finalement de stimuler ce circuit de… de la récompense, d’entraîner la libération… eh bien… d’un médiateur, qui est la dopamine, de diminuer le stress. Et puis il y aurait effectivement d’autres activités sur la neuroplasticité ou encore la neurogenèse au niveau du cerveau.

Chandrou : Donc si je comprends bien ce que vous me dîtes, la musique a un effet direct sur le cerveau, qu’est-ce… qui pourrait être au final assez proche de la consommation de tabac en fait ?

Claire : C’est ça ? Tout à fait, absolument.

Carole : Alors, on va commencer par la séance de musique. Est-ce que vous avez envie d’écouter quelque chose de plutôt calme ou de plutôt rythmé ?

Océane : Euh… Je suis plus d’humeur rythmée aujourd’hui.

Claire : On estime que la musique, c’est quelque chose qui peut leur parler puisque l’écoute musicale, c’est l’une des activités favorites quand même de ce jeune… de ce jeune public.

Carole : Votre envie de fumer, là, entre 0 et 10, vous diriez combien ?

Océane : Euh… 7.

Carole : Et votre stress ?

Océane : [Rire] 9.

Carole : Très bien. Eh bien, ça va vous faire du bien du coup de…

Océane : [Rire]

Carole : D’écouter un peu de musique. Ok, eh bien, alors je vous laisse vous installer sur le petit brancard et on y va.

Claire : Les sujets jeunes, les étudiants, on les a choisis, pourquoi ? Parce que… ce sont des… des… des personnes pour lesquelles on a une… une trajectoire comportementale qui peut être modifiée. Donc l’idée, c’est…

Musique

Chandrou : En gros, c’est des jeunes, il y a de l’espoir.

Claire : Voilà, c’est ça, absolument.

Carole : On me demande d’indiquer son niveau. Donc là, elle était au niveau d’anxiété à 9, donc j’appuie sur le bouton 9. Et donc là, la présentation est faite. J’ai plus qu’à préparer le casque anti-bruit… et à lui proposer la musique.

Musique

Océane : Alors, je m’appelle Océane, j’ai 20 ans, je suis en licence 3 de psychologie.

Chandrou : À votre avis, en quoi la musique vous donne moins envie de fumer ?

Océane : Ça me met dans un état de détente et… c’est plus facile du coup de contrôler ce manque de cigarette et… j’arrive à prendre du recul, à me poser et… à me dire : « Nan, t’as pas besoin de cigarette, ça va, tout va bien. » [Rire] Euh, ben, ça faisait un moment que je voulais arrêter de fumer. Quand on m’a proposé l’opportunité de participer à l’étude, j’ai direct sauté dessus. Et… et puis ça me prenait pas beaucoup de temps. Et je me suis dit : « Ben, c’est tout… tout bénef pour moi. » [Rire] Je vais pouvoir arrêter de fumer et puis… avoir des séances où je peux me relaxer et… avoir un suivi aussi médical aussi, parce que l’… l’étude, du coup, me… va me permettre ça.

Musique

Carole : Ça y est ?

Océane : Oui, c’est bon, c’est… c’est bon.

Carole : Ça s’est bien passé ?

Océane : Oui, très, très bien.

Carole : Super. Hop ! Oups, pardon.

Océane : Pardon.

Carole : Alors, là, votre envie de fumer, vous diriez que c’était à combien maintenant ?

Océane : Là, je dirais à… 5.

Carole : Très bien. Et votre anxiété ? Vous êtes à combien ?

Océane : Euh… plus à 6.

Carole : OK. La satisfaction de la séance ? Est-ce que vous avez aimé la… la séance ?

Océane : Oui, très bien, 10 sur 10.

Carole : Parfait.

Océane : Aucun problème

Carole : Super. Vous êtes plutôt détendue ? sereine ? Comment vous vous sentez ?

Océane : Ouais, un peu plus calme… moins anxieuse… plus détendue. [Rire]

Carole : Eh bien c’est parfait. Ben, je vous remercie. Et puis je vous dis à la semaine prochaine pour le rendez-vous !

Océane : Oui, c’est vrai, oui. À la semaine prochaine. [Rire]

Carole : Merci, au revoir. Bonne journée.

Océane : Au revoir.

Chandrou : Bonjour Carole. Vous faites partie, en tant qu’infirmière, de ces personnes qui sont directement au contact… des… des volontaires. Comment ça se passe, le rapport avec eux ?

Carole : Alors… ce sont des… des jeunes gens pour les… les étudiants qui sont vraiment très gentils, adorables. Ils sont contents de venir ici et il y a vraiment un lien de confiance qui s’établit au fur et à mesure, parce que je les vois quand même, le premier mois, je les vois deux fois par semaine, le deuxième mois une fois par semaine, et le dernier mois une fois toutes les deux semaines. Et au-delà de ça, je leur envoie, enfin je les appelle tous les quinze jours pour faire le point avec eux, savoir s’ils ont besoin de quelque chose… et eux-mêmes ont mon numéro de téléphone direct, où ils peuvent me joindre s’ils ont des questions, besoin de quelque chose. Donc il y a vraiment un lien de confiance qui s’établit et… à la fin, on finit… par être un peu le confident… voilà, pour… pour ces jeunes étudiants. Il y a une relation vraiment de confiance qui… qui s’instaure.

Chandrou : L’expérience dure au total trois mois, avec pas moins de quatorze séances d’écoute musicale. Et pour comprendre le ressenti des personnes qui ont participé à l’étude, il y a même un sociologue qui vient discuter avec eux.

Nicolas : Alors moi, je suis Nicolas Palierne, je suis docteur en sociologie. Je vais rencontrer les étudiantes et les étudiants qui ont été inclus dans le groupe de musicothérapie. Et donc je vais les rencontrer à deux reprises : à un mois après leur entrée dans le programme et à trois mois après leur entrée, où je fais deux petits entretiens, qu’on appelle des « entretiens semi-directifs ». Donc j’ai des questions assez… précises à leur poser, puis ensuite on échange. Et puis là encore, réinscrire tout cela dans… leur entourage. Comment est-ce que leur famille, leurs amis peuvent réagir à leur rapport au tabac, mais aussi à la participation au programme.

Chandrou : Hyper intéressant. Justement, du coup, qu’elles sont un peu les premiers… les premières tendances, on va dire ?

Nicolas : Au niveau des tendances, moi, ce qui… ce qui m’intéresse, c’est de comprendre comment ils ont appris à consommer, dans quel contexte, quelles sont les différentes influences… familiales, amis, médias… ou des événements de vie, hein, qui peuvent aussi participer à tout ça. En tout cas, comment ils sont socialisés à fumer. Et ce qui m’intéresse dans euh… euh… leur participation, c’est finalement comment ils apprennent à, ou désapprennnent, tout dépend de la perspective, en tous cas comment ils apprennent à arrêter la consommation… Mais d’essayer de voir quelles sont les petites… les stratégies, les techniques qu’ils peuvent essayer de mettre en place pour réduire les envies de consommer. Et puis de voir aussi l’impact dans ces différents contextes-là : est-ce que ce sont les contextes de vacances ou les contextes d’examens ? Comment la musicothérapie peut intervenir dedans ou est-ce que d’autres formes de… de pratiques à visée relaxante peuvent se mettre en place chez certaines et certains ?

Chandrou : Le but de cette étude est donc de tester si l’écoute musicale peut aider les personnes addicts à arrêter la cigarette. Mais ça ne s’arrête pas là. Les scientifiques poitevins sont allés encore plus loin. Ils ont non seulement réalisé cette expérience chez 120 étudiants, mais aussi chez 50 soignants.

Claire : Les professionnels de santé…

Chandrou : Claire Lafay-Chebassier

Claire : Ils sont des consommateurs de tabac, hein, ce sont des fumeurs aussi, hein, parmi eux. Avec… des… des… des chiffres qui peuvent aller de 15 % à 40 % selon les… les professions de santé. Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est que ces acteurs de santé c’est des acteurs vraiment… primordiaux… dans la lutte anti-tabac, en fait. Et… il a été montré par des études que le fait que ces professionnels de santé fument avait une influence sur la façon dont ils allaient pouvoir conseiller à leurs patients un sevrage tabagique, voire même comment ils allaient les accompagner dans ce sevrage tabagique, avec moins de conseil et une organisation du suivi peut être moins optimale lorsque ces professionnels de santé sont fumeurs par rapport à des non-fumeurs ou des anciens fumeurs.

Estelle : Alors moi je suis Estelle Amiot, je suis infirmière depuis 2005. Ben, le métier d’infirmier déjà c’est un métier très stressant et, en fait, on tombe vite dans des consommations, en fait, très importantes de tabac. Et après, ben, la suite des postes, des réaffectations, etc., et aussi l’encadrement : il y a beaucoup de mes collègues qui fumaient aussi, etc. Donc j’étais arrivée à peu près à un paquet jour fumé.

Chandrou : Est-ce que le fait de participer à l’étude vous a motivée dans le cadre de l’arrêt ou est-ce que ça vous a pas mis une petite pression ? C’est-à-dire que moi je me mets à votre place, j’aurais peut-être le syndrome du volontaire sain parfait et à me dire : « Ouh, là, faut surtout pas que je craque à fumer ma clope », et donc ça me met encore plus la… encore plus la pression, et donc ça me donne encore plus envie de la fumer. Enfin bref, vous voyez l’idée. Comment ça s’est passé pour vous ?

Estelle : Ouais. Non, c’était plutôt dans le style de motiver en fait. Dire : « Ben tiens, j’ai ma séance de musico jeudi, donc faut que je tienne jusqu’à jeudi. » Et puis en fait, moi ça me donnait des petits paliers comme ça en fait, et c’était pas… c’était pas plus mal. Ben, en plus bien motivée en me disant : « Bon, là tu fais partie de quelque chose, quand même, d’important, donc faut quand même que t’ailles, quand même, jusqu’au bout, sachant que dans les premières réunions qu’on a en fait, la première réunion, puis après dès qu’on voit les soignants, ils disent bien que si vous le sentez pas, vous pouvez arrêter, y a pas de souci quoi, enfin, voilà.

Chandrou : Vous êtes bientôt arrivée en fin de protocole, hein ? Si je me trompe pas.

Estelle : Oui.

Chandrou : Comment est-ce que vous vous sentez ?

Estelle : Ben, ça va. Et donc là, ça va faire trois mois que… que j’ai arrêté.

Claire : L’objectif principal de ces études, c’est de voir vraiment si, grâce à la musique, qui doit permettre d’obtenir une relaxation, en fait, on les aide à mieux gérer le stress, l’anxiété et enfin, surtout, le craving, donc l’envie irrépressible de consommer une cigarette pendant une phase d’abstinence, ‚si on les aide donc à mieux gérer ces différents aspects… de la consommation ou qui entourent le sevrage tabagique, et qu’on prévient ainsi in fine la rechute, donc la reprise de la consommation de cigarette.

Chandrou : Toutes les addictions sont différentes, mais toutes les… toutes les addictions ont aussi un point commun, qui est le fait de pas réussir à s’arrêter. Est-ce qu’on pourrait imaginer, du coup, utiliser la musique pour n’importe quel autre type d’addiction ?

Claire : Alors euh… pourquoi pas, effectivement. Là c’est encore préliminaire pour le dire, parce qu’il faut déjà qu’on voie si nous, avec ces séances musicales, on arrive à améliorer l’accompagnement du patient en sevrage tabagique. Mais effectivement, si on a des résultats intéressants, si on arrive à diminuer le craving, voire à augmenter la réduction, voire l’arrêt tabagique, il faudra évidemment qu’on confirme sur des cohortes de patients euh… enfin sur une population de patients plus importante, et on pourrait tout à fait envisager de le proposer dans une autre forme d’addiction.

Musique

Chandrou : Merci d’avoir écouté cet épisode, consacré aux volontaires qui participent à la recherche sur l’utilisation de l’écoute musicale dans l’arrêt de la consommation du tabac.

Musique

Chandrou : Les Volontaires, c’est un podcast de l’Inserm, produit par Maison K Prod. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager autour de vous. Pensez à nous mettre cinq étoiles sur votre appli, ça nous aide vraiment.

Musique

Chandrou : À entendre parler toute la journée de cette fameuse musicothérapie, ben j’ai voulu tester. Et là, je sors d’une séance de 20 minutes et, à défaut de pouvoir dire si j’ai envie de fumer ou pas, ce que je peux dire c’est qu’effectivement je suis beaucoup plus détendu, beaucoup plus relaxé. Musicalement, ça commence assez fort et, petit à petit, les instruments disparaissent, ce qui fait qu’on tombe, petit à petit, dans un état de relaxation… ce qui me permet de dire que, ben… après cette journée bien remplie autour de la science, du tabac, de la médecine et de la recherche, je suis vraiment content d’avoir pu vivre cette expérience grâce aux scientifiques mais aussi aux volontaires que j’ai pu rencontrer aujourd’hui à Poitiers.

Musique

Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.