On dirait un œuf de pâques... Surveiller le sommeil après la chimio

« On dirait un œuf de pâques... Surveiller le sommeil après la chimio » est l’épisode 06 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

Insomnie, réveil précoce, sommeil léger… Pourquoi les femmes atteintes d’un cancer du sein et sous chimiothérapie ont-elles des troubles du sommeil ? Quel est leur impact sur le fonctionnement de leur cerveau et leur mémoire ? Comment y remédier par un traitement non médicamenteux ? Ces questions sont au cœur du projet Icansleep mené à Caen. Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences, nous raconte cette étude au long cours où se croisent volontaires malades et en bonne santé qui contribuent à la recherche en train de se faire.

Invités

  • Joy Perrier est chercheuse Inserm dans l’unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine à Caen et coordinatrice de l’étude Icansleep
  • Melvin Galin et Clara Elia sont doctorants dans l’unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine à Caen et chargés du suivi des volontaires dans l’étude. Ils assurent les examens cliniques et les visites à domicile.

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Durée de l’épisode : 13 min 50

Transcription de l’épisode

Musique

Chandrou : Bonjour. Je suis très content de vous retrouver dans Les Volontaires, le podcast qui va à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm. L’Inserm, c’est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine.

Musique

Chandrou : Je suis Chandrou Koumar, journaliste, docteur en neurosciences. Dans cet épisode, nous allons nous intéresser au cancer du sein. Pendant la chimiothérapie, de nombreux effets secondaires apparaissent. Il y en a sur le sommeil. L’objectif du laboratoire où je vais est de comprendre les effets de la chimio sur le sommeil et de développer une nouvelle prise en charge sans aucun médicament pour tenter d’améliorer le sommeil des femmes touchées. Bienvenue dans le projet Icansleep.

Musique

Chandrou : Et comme j’adore vous le rappeler, la science, c’est avant tout une aventure humaine.

Joy Perrier : D’interagir avec nous, de parler de leur maladie mais avec un autre prisme, je crois que ça leur fait en tout cas un petit peu de bien.

Chandrou : Je suis donc à Caen pour aller à la rencontre de Sylvie et Farah…

Sylvie : J’ai des fils partout… On ressemble un peu à un oeuf de Pâques en sortant.

Chandrou : … Deux volontaires impliquées dans cette expérience sur le cancer du sein…

Farah : Franchement, les tests, j’ai rigolé.

Chandrou : … Ainsi que les scientifiques Joy Perrier, Clara Elia et Melvin Galin.

Melvin Galin : C’est parti. J’appuie sur le bouton.

Chandrou : … Qui collaborent au sein de deux laboratoires Inserm : le laboratoire de Neuro-imagerie et de la mémoire humaine d’un côté et celui des Mobilités attention, orientation, chronobiologie de l’autre.

Melvin Galin : Vous avez d’autres questions sur…

Sylvie : Non, non, sur les…

Melvin Galin : … Sur la stimulation ? Non ? OK.

Sylvie : Je voulais savoir à quoi m’attendre.

Chandrou : Je suis dans une petite salle du laboratoire.

Melvin Galin : La prochaine fois, vous…

Chandrou : Devant moi, une participante à l’étude qui n’est pas malade.

Sylvie : Je m’appelle Sylvie, j’ai 63 ans.

Chandrou : Sylvie fait partie du groupe témoin. Il est constitué de 25 volontaires non malades. Cette volontaire est entourée de Clara et Melvin, deux doctorants qui viennent de retirer l’énorme dispositif qu’elle portait sur elle et qu’elle a porté pendant toute une nuit.

Sylvie : J’ai des fils partout. Les électrodes sont fixées avec une espèce de ciment, c’est ça ? C’est du ciment, hein ?

Clara Elia : Du plâtre.

Sylvie : Du plâtre, pardon, du plâtre. Oui, non, non. Lapsus.

Chandrou : Dites-moi, Melvin, c’est quoi une polysomnographie ?

Melvin : Ça va être un appareil qui va permettre d’enregistrer le sommeil en très grande globalité. On va avoir des électrodes sur le crâne pour enregistrer l’activité cérébrale, sur le visage pour enregistrer les mouvements oculaires et le tonus musculaire. Donc ça, ça sera au niveau du menton. On en aura au niveau des clavicules pour avoir un électrocardiogramme. On aura aussi deux ceintures respiratoires, une canule nasale, pareil pour la respiration. On aura de l’oxymétrie de pouls pour mesurer la saturation en oxygène dans le sang, et on aura un micro pour enregistrer des éventuels ronflements.

Sylvie : On ressemble un peu à un œuf de Pâques en sortant, parce que tout est maintenu par un… une espèce de jersey. Donc on sort le soir, tout équipée. Ben, forcément, ça fait exploser de rire mes petits-enfants parce que… on ressemble quand même pas à grand-chose, faut bien le dire, hein. C’est pour ça que je prévois un vêtement à capuche. Je sors comme les jeunes avec une capuche pour qu’on me voie le moins possible et là j’ai hâte de rentrer prendre une douche pour enlever tout… tout le reste de plâtre.

Chandrou : Qu’est-ce qui vous a motivé à participer à cette étude ?

Sylvie : En fait, j’ai été au courant, j’ai été mise au courant de cette étude par une de mes nièces, qui est étudiante ici et qui cherchait des femmes qui ont des problèmes de sommeil. Et ma nièce, qui m’entend depuis des années parler de mon sommeil en dents de scie, m’a dit : « Tiens, ça pourrait t’intéresser. » Je me suis dit qu’après tout j’avais rien à perdre et que, au pire… ça allait peut être améliorer mon sommeil, donc voilà.

Chandrou : Clara, en quoi dans votre étude les volontaires sont indispensables ?

Clara Elia : Les volontaires, donc elles vont nous permettre en fait de faire des comparaisons entre les femmes qui… qui sont atteintes d’un cancer du sein, donc le fonctionnement cognitif de ces femmes-là, le sommeil, on va le comparer donc au sommeil et au fonctionnement cognitif des personnes qui ne sont pas atteintes d’un cancer du sein.

Musique

Chandrou : Joy, vous, vous êtes chercheuse principale de l’étude Icansleep. À quels impacts sur le sommeil on peut s’attendre quand il y a une chimiothérapie ?

Joy Perrier : Les patientes ont d’une part une… une modification de leur… de leur comportement parce qu’elles sont plus fatiguées et donc elles peuvent se reposer beaucoup plus dans la journée et donc avoir un sommeil qui est un peu plus altéré. C’est vrai aussi avant la chimiothérapie. Donc ce sont des modifications qui sont suggérées par la littérature, mais pas forcément objectivées, ce que nous on dit « objectivées », donc mesurées avec des outils spécifiques. Et c’est l’enjeu du projet Icansleep. On sait que le sommeil est impliqué dans la mémoire, il est impliqué dans vos capacités attentionnelles. Ça, tout le monde s’en rend compte : lorsqu’on dort mal, on a du mal à fonctionner dans la journée. Donc si les patientes ont un sommeil qui est modifié, ça peut contribuer à ce que leurs capacités de mémoire, leurs capacités attentionnelles soient aussi altérées, en plus des effets connus de la chimiothérapie. Donc si on régule le sommeil, on peut peut-être limiter ces effets-là.

Musique

Chandrou : Un objectif de cette étude est donc d’observer le sommeil de patientes atteintes du cancer du sein et sous traitement par chimiothérapie. Là, je suis actuellement avec Farah. Elle fait partie du groupe de 50 volontaires atteints du cancer du sein.

Farah : J’ai 54 ans, j’ai donc été opérée et j’ai suivi des séances de chimiothérapie. Dès que j’ai appris la présence de ce cancer, on m’a proposé de faire partie d’une étude sur le sommeil. Pouvoir venir en aide à la recherche, je trouvais que c’était très intéressant et puis même valorisant pour moi, personnellement. Ma santé n’était mise en danger à aucun moment, je prenais aucun risque. Et puis c’est, sincèrement, y’a pas de contrainte, y’a zéro contrainte. Et puis… et puis, voilà, pendant qu’on fait ça, moi j’ai envie de dire on oublie un petit peu le cancer.

Clara Elia : On essaie de suivre en fait le rythme de la patiente. Il… il se peut arriver qu’elle ne veut plus participer ou qu’elle veut déplacer le rendez-vous ou le reporter. On est vraiment flexible là-dessus. On essaye parfois aussi de… d’aborder les choses de manière… euh… plus humaine. Même si on est dans une… dans un cadre de recherche, on peut parfois sortir un tout petit peu, juste pour voir comment vraiment la dame va, pour savoir comment on va la prendre en charge. Parce que notre but c’est… n’est pas que, en fait, de recueillir des données scientifiques pour rédiger des articles ou pour les diffuser ultérieurement. Mais aussi si la personne qui est en face de nous ne va pas bien, n’accepte pas par exemple… sa maladie, on est censé, c’est notre rôle, on est censé en fait de la réorienter chez quelqu’un, chez un professionnel, pour qu’elle puisse régler ce problème.

Bruit de fond 

Chandrou : Farah est dans une pièce juste à côté de celle où je suis en ce moment. Entre les deux pièces, une fenêtre, et à travers cette fenêtre, je vois Farah qui est dans l’IRM. C’est le bruit qu’on entend autour de moi. Mais on voit aussi sur un autre écran la tâche qu’elle est en train de réaliser avec les manettes, elle fait une sorte de micro jeu vidéo dans un IRM.

Joy Perrier : On utilise l’IRM, donc l’imagerie par résonance magnétique, pour mesurer d’une part la structure du cerveau, donc sa taille avant et après la chimiothérapie, puisque, dans la littérature, il a déjà été montré que, suite à la chimiothérapie, on a des diminutions du volume, en particulier dans l’hippocampe, qui est la structure impliquée dans la mémoire. Donc nous, on va mesurer cela, cette modification de la taille du cerveau, mais aussi la modification éventuelle de l’activité du cerveau. Et là, en l’occurrence, au cours d’une tâche qui mesure l’attention des personnes.

Farah : L’IRM, c’est… c’est surtout pour moi le moment le plus désagréable. Moi j’étais quand même claustro avant de rentrer [rire] dans cet appareil, mais j’ai été très, très bien prise en charge, tellement bien qu’on a trouvé la façon, en me rassurant, de fermer les yeux, de rentrer, et je me suis… franchement, les tests, j’ai rigolé.

Joy Perrier : Ensuite, l’idée c’est de faire le lien entre cette structure du cerveau et cette activité du cerveau et les modifications du sommeil qu’on va retrouver.

Musique

Chandrou : Clara, Melvin et Joy auront l’intégralité de leurs résultats fin 2025, deux ans après avoir lancé le protocole. Pour chaque volontaire, ça fait entre 6 à 8 mois d’expérience. Un sacré rythme. Une fois le sommeil post-chimiothérapie observé, les scientifiques veulent tester d’améliorer le sommeil à partir d’une technique originale non médicamenteuse qui s’appelle la « stimulation vestibulaire galvanique ».

Joy Perrier : Le système vestibulaire, au départ, il est décrit comme le… l’organe de l’équilibre, le système de l’équilibre, et ce système vestibulaire serait aussi impliqué dans la régulation du rythme activité-repos. Alors le rythme activité-repos, c’est cette alternance qu’on va avoir, sur 24 h, entre nos périodes de veille, nos périodes de sommeil.

Chandrou : On va appuyer sur un bouton et on va voir quelles sont les sensations liées à cette fameuse stimulation, du coup, du système vestibulaire, qui est dans l’oreille. Là, j’ai une sorte de petit casque sur la tête avec des petites éponges, qui arrivent juste derrière l’oreille. Donc là, dès que je vais appuyer, ça va stimuler ?

Melvin Galin : C’est ça, ça va t’envoyer le petit courant. Je sais pas à quel point t’es sensible, peut-être assied-toi.

Chandrou : C’est parti, j’appuie sur le bouton. Euh… j’ai l’impression d’être dans un bateau. Je suis en train de tanguer de gauche à droite, mais c’est pas du tout douloureux. Concrètement, je sais bien que je bouge pas. Et c’est là qu’on voit que le système vestibulaire est bien impliqué dans l’équilibre, c’est qu’effectivement, là, ma perception de mon équilibre est totalement modifiée.

Joy Perrier : Donc, très simplement, on met à disposition des participantes à l’étude un petit boîtier et un casque, enfin un bandeau qu’elles vont placer sur leur tête. Le matin, on les voit en visioconférence et elles mettent en route l’appareil. Et là, ça leur délivre des… une stimulation pendant 20 minutes. Donc on fait ça pendant deux semaines, pas le week-end, les jours ouvrés. Et au moins, ça évite que les patientes ne se déplacent, ce qui était vraiment très important pour nous, parce qu’on est quinze jours après la chimiothérapie : elles sont fatiguées, elles ont beaucoup de choses à penser.

Musique

Chandrou : Ce matin, quand je suis arrivée, Sylvie était déjà déséquipée. Cette fois-ci, je suis avec Melvin, Clara et Farah et y’a Melvin qui est en train d’équiper Farah de l’appareil qui va lui permettre de suivre le sommeil et qu’on appelle donc la « polysomnographie ». Farah, comment se passe cette… cette étape d’équipement ?

Farah : Moi je l’ai déjà vécu, euh… effectivement, esthétiquement c’est pas… voilà. Et on m’a proposé de… de… de sortir avec un petit foulard. Donc c’est des petits foulards en tissu, carrés, pliés en triangle, qu’on s’attache sur la tête. Et, sauf que justement, ce foulard, ben moi, cet… cet essayage de foulard m’a énormément rendu service parce que… personnellement, j’ai fait un rejet, tant au niveau de la perruque qu’au niveau des… des espèces de petit bonnet qu’on… qu’on… qu’on se met, hein… Parce que, ben voilà, quand on perd ses cheveux, eh bien on peut pas sortir comme ça, hein… On le vit très très mal. Et, par contre, comme vous me voyez aujourd’hui, j’ai un foulard et grâce à ce foulard, je sors dehors.

Joy Perrier : On est face à des personnes qui sont finalement très souvent très résilientes parce que le protocole est lourd. Donc celles qui viennent nous voir, c’est qu’elles sont très motivées et qu’elles ont la capacité à la fois de gérer leur maladie et de participer à ce protocole. Et puis on voit aussi que ça leur est bénéfique, d’une certaine façon, d’interagir avec nous, de parler de leur maladie, mais avec un autre prisme. Et je crois que ça leur fait en tout cas un petit peu de bien.

Chandrou : Farah, comment vous vivez cette… cette posture de volontaire ?

Farah : Très sincèrement, je regrette pas du tout.

Chandrou : Est-ce que vous avez été indemnisée pour ça ?

Farah : Alors, je vais être indemnisée… à hauteur de… 300 €. Donc je me suis dit : « Bah, c’est bien, tant mieux. Tiens, je sais déjà ce que je vais m’acheter avec. » Et voilà, ça a été mon petit truc… de fin de… de chimio.

Chandrou : Alors, je veux pas être indiscret, mais je suis curieux : est-ce qu’on peut savoir, du coup, ça va être quoi ce petit cadeau avec les 300 € en question ?

Farah : Ah, il y a de grandes chances que ça soit un fauteuil. Ouais, ouais, je l’ai déjà repéré : très relax, très détente, très… non, je suis allée l’essayer. [rire]

Chandrou : Aujourd’hui, j’ai passé une journée remplie d’émotions. J’ai eu la chance de rencontrer une patiente qui, en tant que volontaire, a été mise dans une autre dynamique : celle d’une personne qui participe activement à une expérience et qui du coup peut penser à autre chose qu’à sa maladie. Et ça, ça m’a vraiment touché.

Musique

Chandrou : À très vite pour de nouvelles rencontres scientifiques avec Les Volontaires. Merci d’avoir écouté cet épisode consacré aux volontaires qui participent à la recherche sur le cancer du sein et ses impacts sur le sommeil. Les Volontaires, c’est un podcast de l’Inserm, produit par Maison K Prod. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner, à le partager autour de vous et, si vous le pouvez, pensez à nous mettre cinq étoiles sur votre application, ça nous aide vraiment.

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Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.