Le vieillissement en motion capture : Les Volontaires S01E04

« Le vieillissement en motion capture » est l’épisode 04 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

Le laboratoire Inserm Cognition, action et plasticité sensorimotrice (CAPS) de Dijon a un objectif : étudier le mouvement sous toutes ses formes. Ici, les scientifiques savent l’analyser et le modéliser en s’appuyant sur des technologies de pointe. Stéphane, 23 ans, et Geneviève, 74 ans, sont en bonne santé et se sont prêtés au jeu de la recherche en mouvement. Ils participent à une étude sur les effets du vieillissement sur la motricité. Et si, au lieu de décliner, le corps mettait en place des stratégies de compensation ? C’est pour en savoir plus sur cette hypothèse passionnante que le journaliste et docteur en neurosciences Chandrou Koumar a suivi les deux volontaires… jusqu’au tapis d’entraînement !

Invités

  • Robin Mathieu est doctorant en biomécanique. Il travaille sur le vieillissement au laboratoire CAPS.
  • France Mourey est professeure émérite Inserm au laboratoire CAPS. Elle mène des études sur le vieillissement.

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Transcription de l’épisode

Musique

Chandrou Koumar : Bonjour et bienvenue dans les volontaires. C’est le podcast qui part à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm. L’Inserm, c’est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine. Je suis Chandrou Koumar, journaliste, docteur en neurosciences. Dans cet épisode, je suis à Dijon. Je vais à la rencontre de personnes qui contribuent à une étude originale. Elle fait appel à une technologie qu’on voit d’habitude dans le monde du cinéma et des effets spéciaux.

Fin de la musique

Robin Mathieu : Ce sont des caméras infrarouges qui émettent des infrarouges qui vont être reflétés par les petits marqueurs et qui vont nous permettre de suivre la « cinématique », ce que j’appelle la « cinématique » : la réalisation des mouvements.

Chandrou : L’objectif est de décrypter nos mouvements pour réussir à anticiper l’apparition de maladies neurodégénératives. Mais parce qu’il ne faut jamais perdre de vue que la science, c’est avant tout une aventure humaine, on va s’intéresser à une étude transgénérationnelle puisqu’elle rassemble des personnes jeunes.

Stéphane : Bonjour, je m’appelle Stéphane, j’ai 23 ans, bientôt 24.

Chandrou : Et des personnes… avec plus de sagesse !

Geneviève : Je m’appelle Geneviève, j’ai presque 74 ans.

Chandrou : Deux volontaires qui contribuent à cette étude digne d’Hollywood.

Robin Mathieu : Tu peux te mettre en place dans la ligne rouge, donc choisit un écartement de pieds qui te semble confortable.

Chandrou : Ainsi que Robin Mathieu et France Mourey, scientifiques au laboratoire Cognition, action et plasticité sensorimotrice. Donc, pour faire beaucoup plus simple, on l’appellera le labo CAPS. Allez, on y va !

Bruit de clic

Donc à chaque clic : il se lève, il se baisse ; il se lève, il se baisse… Et je vais m’arrêter là parce que ça dure trois minutes.

Musique + clic

Je suis au laboratoire CAPS, dans une pièce qui est plus qu’intrigante. Cette pièce, c’est le mélange d’un studio d’effets spéciaux et d’une mini salle de sport. Tout autour de nous : des caméras.

Robin Mathieu : Ok, donc t’es prêt ? Pas d’autres questions ? Donc relâche toi bien, je vais lancer l’expérience. Hop ! Je m’appelle Robin Mathieu. Je suis doctorant en troisième année de thèse au laboratoire Inserm à Dijon et je suis donc doctorant en biomécanique et je travaille sur le vieillissement. Alors le laboratoire Inserm à Dijon ça fait tout ce qui tourne autour du mouvement… de la performance sportive à la réhabilitation, en passant par des choses plus fondamentales sur les animaux, même.

Chandrou : Moi, quand j’ai mis les pieds dans la salle, j’ai été vraiment fasciné par le nombre de caméras. Je pensais que j’étais sur un plateau de tournage et qu’on allait voir qu’on allait voir un Avenger en train de courir avec un fond vert ! Est-ce que vous pourriez me décrire un peu tout ça, s’il vous plaît ?

Robin Mathieu : Donc là, on est dans la salle d’analyse du mouvement du laboratoire, donc on se concentre pas fondamentalement ici sur la cinématique. On a besoin de la cinématique pour revérifier que ce qu’on a demandé aux participants de réaliser, ben ils l’ont fait correctement. Donc on a ces caméras, ce système d’analyse du mouvement : ce sont des caméras infrarouges qui émettent des infrarouges qui vont être reflétés par les petits marqueurs sur Stéphane, et qui vont nous permettre de suivre la cinématique, ce que j’appelle la « cinématique » : la réalisation des mouvements. À côté de ça, on a le petit sac que Stéphane porte qui est équipé d’un analyseur de gaz qui est connecté au masque qui nous permet d’enregistrer la consommation d’oxygène de Stéphane. Et nous, ça va nous donner une idée de la consommation d’énergie, puisque la consommation d’oxygène est liée à la consommation d’énergie. Et donc on va savoir s’il minimise ou pas ses efforts.

Chandrou : Est-ce que vous pourriez m’expliquer un peu ce qui se passe ?

Robin Mathieu : Stéphane commence le premier bloc, donc là il doit marcher en ligne. On essaie de jouer sur les conditions d’équilibre.

Robin Mathieu : Ok, donc c’est parti pour trois minutes.

Musique

Alors l’idée du protocole de cette expérience, c’est d’étudier du coup l’effet du vieillissement sur la motricité. Il y a beaucoup d’études, si on remonte les années, qui décrivaient le vieillissement comme un déclin dans tous les sens, que ce soit cognitif, musculaire, sur tous les champs possibles… Et nous, depuis peu, on s’intéresse au vieillissement sous un autre angle, on essaie de regarder ce qui se passe de manière plus fine, et on se rend compte qu’en fait, des choses qui étaient perçues comme du déclin sont parfois simplement un changement de stratégie. C’est ce qu’on a montré dans une première étude et c’est ce qu’on essaie de montrer dans une seconde étude. On essaie de voir quel est l’impact de la contrainte d’équilibre sur la consommation d’énergie et on se rend compte qu’en fait les personnes jeunes auront une volonté d’économie et plus d’énergie que les âgées. Donc ils vont économiser plus d’énergie et les âgés, en fait, pas parce qu’ils n’en sont pas capables, mais parce qu’ils souhaitent maximiser leur équilibre pour minimiser le risque de chute – parce qu’on sait que c’est quelque chose qui est très, très important chez les personnes âgées – vont consommer un peu plus d’énergie, mais c’est pas parce qu’elles n’en sont pas capables, enfin qu’elles ne sont pas capables de faire comme les jeunes : c’est juste simplement par un choix inconscient, ce qu’on appelle le phénomène de « compensation ». Ce sont des stratégies qui sont différentes.

Chandrou : Vous êtes censé travailler sur le vieillissement mais moi, quand je suis arrivé, c’était un jeune qui était sur le tapis d’expérience. Est-ce que vous pouvez m’expliquer un peu ce paradoxe ?

Robin Mathieu : C’est une bonne réflexion. Donc on étudie le vieillissement, mais pour pouvoir étudier le vieillissement, on étudie aussi les jeunes. On a besoin d’un « groupe contrôle » pour voir ce qui se passe au cours du vieillissement. Donc on compare à chaque fois les personnes âgées à un groupe de jeunes – là, c’était un jeune étudiant. Donc c’est des personnes de moins de 30 ans qu’on compare à des gens de plus de 65 ans.

Stéphane : Je m’appelle Stéphane, je suis en DEUST 2 à l’université de Bourgogne à l’UFR STAPS.

Chandrou : Est-ce que ce type d’expérience est nouveau pour vous ? Est-ce que c’est une expérience que vous avez déjà vécue ?

Stéphane : Non. J’avais jamais fait une expérience sur l’analyse de mouvement, c’est la première fois.

Chandrou : Et alors, ça vous plaît ?

Stéphane : Ouais, c’était sympa. Bon, on verra après avec la reconstitution, mais c’est sympa de voir comment on marche… Comme je l’ai dit, il n’y a personne qui nous torture ! J’ai jamais encore rencontré de scientifiques vraiment pas sympa, qui ne parlent pas aux participants et tout : à chaque fois, ils sont dispo, ils discutent, ils restent avec nous… C’est pour nous motiver aussi dans le truc. Donc c’est cool.

Chandrou : Parce que moi, je me mets à la place d’un volontaire. On a déjà beaucoup de choses à faire dans la vie : les études, dans votre cas, les activités, les loisirs, les proches… Est-ce qu’en venant vous vous dites : « Vas‑y, j’ai quand même un peu la flemme et tout ? J’ai l’impression d’être en cours, de me taper une galère ! » Ou est-ce que, plutôt, vous êtes content de venir et motivé ?

Stéphane : Je suis content de venir et motivé, de toute façon, sinon, je viendrai pas. Enfin sauf si on m’y oblige, mais vu que je suis volontaire, j’y vais avec le bon état d’esprit en me disant : « Je vais découvrir une nouvelle expérience, une nouvelle personne, ça va être cool ! » Et du coup, bah ouais, on discute. Et puis même, c’est intéressant de savoir à quoi sert l’expérience après, vraiment ce qu’il analyse, ce qu’il regarde… C’est toujours sympa.

Robin Mathieu : Ok, on a fini deuxième bloc, Stéphane, donc je vais baisser la vitesse, ça va ? Donc je vais voir à nouveau ta perception de l’effort ?

Bruit/sifflement d’air

Stéphane : Oui vite parce que j’ai un peu mal au bras… rires

Robin Mathieu : Donc en tenant le bras, c’est peut-être un peu plus compliqué ! Ok, je te laisse te rasseoir.

Geneviève : Bonjour, je m’appelle Geneviève, je suis retraitée depuis environ douze ans et j’occupe mon temps de retraitée à un certain nombre d’activités bénévoles.

Chandrou : Comment vous avez été amenée à rentrer dans ce protocole d’étude ?

Geneviève : Alors, mon mari et moi faisons partie de ces protocoles. Et en fait, on est venu à participer à ces travaux de recherche parce qu’il y a quelqu’un qui lui a indiqué que l’Inserm recherchait des bénévoles pour participer et on est venu tous les deux comme bénévoles.

Chandrou : Et c’est rigolo parce que en discutant avec vous, j’ai l’impression que vous percevez votre rôle de volontaire plus comme un rôle associatif presque, que comme un rôle scientifique. C’est intéressant comme approche.

Geneviève : C’est une autre façon de venir en aide, parce que je sais que les recherches menées ici vont permettre de mettre en place des protocoles.

Chandrou : C’est compliqué de rentrer comme volontaire dans une expérience comme ça ?

Geneviève : Je pense que ce n’est pas compliqué du tout puisqu’il suffit d’un coup de fil. On a téléphoné, on nous a dit : « Ok, vous rentrez dans les critères, donc vous venez tel jour à telle heure. » Ok, c’est bon, on y va.

Musique

Chandrou : Robin, vous êtes en train de fixer des petits marqueurs sur le corps de Stéphane. Ces petits marqueurs là vont être détectés par les caméras et c’est ça qui va être récupéré dans l’ordinateur. Et avec ça, vous allez pouvoir dire : le mouvement se passe de telle manière, au niveau de telle jonction, de tel muscle, de telle jambe…

Robin Mathieu : Voilà, c’est ça. Il y a des modèles après qui nous permettront de dire s’il a plutôt un comportement optimal dans une certaine stratégie.

Bruit de clic

Geneviève : Par contre, ce que j’ai trouvé de super génial, c’est qu’effectivement nos chercheurs ont des idées géniales. Créer ces petits… j’allais dire « objets » qui vont nous permettre de mener à bien l’expérimentation : il fallait y penser !

Bruit de clic

Chandrou : Donc en ce moment même, on voit Stéphane qui est face à l’écran, qui était à côté du tapis roulant, qui cette fois est désactivé. En fait, Stéphane regarde l’écran sur lequel il est écrit soit « monter », soit « descendre », et donc en même temps il fait le mouvement. Il doit toucher une petite barre qui au sol. C’est ça qu’on appelle l’exercice de pointage. Grâce aux analyses de marches sur tapis et grâce aux analyses des exercices de pointage, on va pouvoir percer les mystères de nos mouvements.

France Mourey : Bonjour, je suis France Mourey, je suis professeure des universités ici dans ce laboratoire CAPS à Dijon et je suis actuellement professeure émérite.

Chandrou : Qu’est-ce que ça signifie professeure « émérite » ?

France Mourey : C’est une manière élégante de dire qu’on a passé l’âge de la retraite. Vieillir, ça commence tôt, c’est vrai, sans que ce soit une maladie. Et notre organisme en quelque sorte… perd, c’est vrai, certaines capacités. Mais en même temps, et on a toutes raisons de penser que c’est comme ça, s’adapte à ces pertes et va développer un certain nombre de choses. Donc il n’y a pas un jour où on se réveille vieux, mais progressivement, un processus auquel on s’adapte à devenir un peu plus vieux.

Chandrou : Qu’est-ce que vous appelez « s’adapter » au temps qui passe ?

France Mourey : C’est justement le sujet général de nos recherches. C’est-à-dire que souvent, on a travaillé, en ce qui concerne le focus du mouvement, qui est notre travail à nous, on a travaillé chez le jeune – on a développé des modèles, des connaissances, etc... – puis un jour, on s’est mis à travailler sur le vieillissement, mais sous l’angle de la maladie (Parkinson ou autre...). Et nous avons pensé qu’il y avait un vide scientifique entre ces deux aspects, entre ces deux volets. Et, ce que l’on essaie aujourd’hui, c’est justement d’essayer de comprendre comment finalement on vieillit, comment on s’adapte au vieillissement et comment on développe – c’est une hypothèse, mais qui paraît de plus en plus confirmée quand même – comment on développe des compensations face aux pertes liées au vieillissement. Toujours dans le focus qui est le nôtre, c’est-à-dire celui du mouvement.

Chandrou : Est-ce qu’on pourrait imaginer du coup, à travers vos études et les suites qu’il pourrait y avoir, peut-être une contribution au diagnostic précoce ?

France Mourey : Alors l’idée effectivement est là, c’est d’arriver à trouver quasiment des…presque des marqueurs, des indices, de la modification du contrôle moteur précocement chez des gens qui sont diagnostiqués pour des maladies de type Alzheimer (dont on avait au départ surtout l’idée que c’était des maladies purement cognitives, maladie de la mémoire) et donc contribuer à un diagnostic précoce dans l’idée de pouvoir accompagner en particulier ces personnes au plan des activités physiques, c’est évidemment un de nos objectifs.

Robin Mathieu : Ça va ?

Stéphane : Ouais, ça va !

Robin Mathieu : Donc là, on a deux ordinateurs. Le premier, on regarde la consommation d’énergie, donc, en fait, c’est le volume d’O2 que tu as ici. Et donc on peut voir les différents blocs. Donc là, il y avait trois blocs de marche lente, trois blocs de marche rapide, et trois blocs de pointage vers le sol. On voit que le pointage vers le sol, ça demande un petit peu plus d’énergie : tu l’as senti. Ici, on a la cinématique qui attaque : quand tu augmentes la contrainte d’équilibre, tu fais exploser la consommation d’énergie. Pour l’instant ce qu’on voit chez les âgés, c’est que ça explose en fait : quand tu augmentes la contrainte d’équilibre, tu fais exploser la consommation d’énergie. En fait, ils changent de stratégie au fur et à mesure et ils sont dans une stratégie qui est vraiment à minimiser le risque de chute quand ils sont loin de la cible ; et donc ils ne minimisent plus du tout leur effort, comme toi tu peux le faire. Voilà. Donc ça, ça montre que, quand les personnes âgées – elles sont capables de créer des patterns optimaux, on l’a montré dans d’autres études – mais parfois elles font juste un choix différent pour minimiser le risque de chute. Donc c’est pas forcément qu’elles n’en sont pas capables ; souvent on dit : « Ouais, il y a du déclin dans tous les sens, donc elles sont plus capables de faire quoi que ce soit. » Elles en sont capables. C’est juste qu’elles décident de faire autre chose – c’est inconscient. Donc c’est la conclusion principale de l’étude pour l’instant. Mais bon, il reste des participants.

Chandrou : Pour l’instant 17 volontaires de chaque groupe ont réalisé l’expérience. Autrement dit, 34 personnes ont déjà fait le test sur le tapis. Il n’en reste plus que six. Ils espèrent pouvoir faire ces dernières expériences dans les mois qui viennent.

Musique

J’ai passé une super journée à Dijon. Non seulement les rencontres que j’y ai faites étaient incroyables, mais en plus, ce qui m’a fasciné, c’est de voir les jeunes et les anciens ensemble pour faire avancer la science. À très vite pour de nouvelles rencontres scientifiques avec les volontaires. Merci d’avoir écouté cet épisode consacré aux volontaires qui participent à la recherche sur l’évolution des stratégies de mouvement au cours du vieillissement. Les volontaires, c’est un podcast de l’Inserm produit par Maison K Prod. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager autour de vous. Et si vous le pouvez, pensez à nous mettre cinq étoiles sur votre appli, ça nous aide vraiment !

Musique

Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.