La militante trans de la prévention du VIH : Les Volontaires S01E02

« La militante trans de la prévention du VIH » est l’épisode 02 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

Quelles sont les vulnérabilités et les conditions de vie en France des personnes transgenres vivant avec le VIH ? C’est pour répondre à cette question que Giovanna, militante associative à Paris, s’est tournée vers le Sesstim, un laboratoire marseillais Inserm spécialisé en sciences humaines et sociale. Ensemble, ils ont lancé l’étude Trans&VIH. Sa particularité : chercheurs et personnes trans séropositives ont collaboré à toutes les étapes du projet. Giovanna confie à Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences, son parcours de volontaire et sa fierté de contribuer à une recherche utile à toutes et tous.

Invités

  • Giovanna Rincon est fondatrice de l’association ⁠Acceptess‑T⁠. Elle a co-construit l’étude Trans&VIH, dont elle est aussi volontaire.
  • Bruno Spire est directeur de recherche Inserm au Sesstim. Spécialiste du VIH-sida, il est le co-investigateur principal de l’étude Trans&VIH.
  • Marion Mora est ingénieure de recherche Inserm. Elle est responsable du recueil des données de l’étude Trans&VIH.
  • Margot Annequin travaille sur les conditions de vie des personnes séropositives. Elle analyse les résultats de l’étude Trans&VIH.

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Transcription de l’épisode

Musique

Chandrou Koumar : Bonjour et bienvenue dans Les volontaires. C’est le podcast qui part à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm. L’Inserm, c’est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine.

Je suis Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences. Dans cet épisode, je vais à la rencontre des personnes qui contribuent à une étude fascinante. Elle est née d’une collaboration entre des scientifiques d’un côté et de l’autre, des personnes concernées par une problématique spécifique : il s’agit de comprendre le parcours de vie des personnes transgenres et leur exposition possible au VIH.

J’aime dire que la science raconte aussi une aventure humaine. Et bien cette étude implique des centaines de personnes dans toute la France. Et dans cet épisode, je voyage entre Paris et Marseille.

À Paris, je vais à la rencontre de Giovanna Rincon.

Giovanna Rincon : Salut Chandrou, bienvenue à l’association.

Chandrou : Elle est volontaire dans l’étude et fondatrice de l’association de santé Acceptess T. Cette association lutte contre l’exclusion et les discriminations à l’encontre des personnes dont l’identité de genre est jugée non conforme.

Fin de la musique

Giovanna Rincon : La transidentité, c’est juste le fait d’une personne qui ne se reconnaît pas dans le sexe qu’il a été assigné à la naissance et qui après, en toute liberté et en toute autodétermination, peut entamer un parcours de changement de genre.

Musique

Chandrou : Et puis à Marseille, je rejoins les scientifiques Bruno Spire, Marion Mora et Margaux Annequin. Ils appartiennent au Laboratoire de sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale. Donc, pour faire beaucoup plus simple, on l’appellera le labo Sesstim.

Marion Mora : On travaille sur plein de projets de recherche et notamment le projet Trans et VIH, dont nous allons discuter.

Chandrou :  C’est l’histoire d’une recherche qui part avant tout de la volonté des personnes trans.

Fin de la musique

Chandrou :  Bruno Spire, vous êtes directeur de recherche au laboratoire du Sesstim, soutenu par l’Inserm, et vous êtes aussi investigateur principal de l’étude sur le parcours de vie des personnes trans et les risques liés au VIH.

Comment ça s’est passé quand Giovanna est venue vous voir pour discuter de ce projet ?

Bruno Spire : Giovanna est venue nous voir pour monter une recherche autour des questions qui l’intéressaient. Alors il y avait la prévention, il y avait le soutien aux personnes concernées et on a plutôt, d’un commun accord, décidé qu’on commençait avec les personnes directement touchées par le VIH, les personnes trans. Parce que scientifiquement, c’était peut-être plus solide de pouvoir se baser sur une population qui est suivie à l’hôpital et qui est bien définie pour avoir des résultats qui soient publiables.

Chandrou : Vous avez co-construit l’étude avec les personnes trans.

Bruno Spire : Exactement. On a co-construit le programme avec l’association Acceptess T et l’association AIDES qui, à toutes les étapes du projet, nous ont vraiment aidés à concevoir les outils pour monter le questionnaire auprès des personnes. On a eu également des enquêtrices qui étaient des personnes trans pour pouvoir parler plus facilement aux personnes qu’on interrogeait. Et puis aujourd’hui, toute l’équipe est en en connexion avec les associations pour interpréter nos résultats.

Il n’existait pas en France de données très solides sur le parcours médical des personnes trans touchées par le VIH. Et c’est bien pour ça qu’on s’est rendu compte avec Giovanna qu’à chaque fois qu’Acceptess T avait besoin d’avoir des données solides pour leurs plaidoyers auprès des autorités, il manquait de données chiffrées, de données un peu étayées et donc c’est tout l’intérêt de cette étude.

Musique

Chandrou : La particularité de cette étude, c’était que les personnes y ont répondu de façon anonyme, à part vous. Du coup, Giovanna, en tant que représentante de l’association Acceptess T et en quoi c’est important cet anonymat dans le cadre des questionnaires ?

Giovanna : Parce qu’il y a la question du travail du sexe qui est derrière et que parmi les répondantes, en grande majorité, toutes sont travailleuses du sexe. Et que si on ne garantissait pas l’anonymat sur ces questions-là, ça aurait pu être très compromettant pour beaucoup de filles ett après pour beaucoup de personnes, trans... Être trans, ce n’est plus quelque chose de présent. Elles sont aujourd’hui des femmes et ne souhaitent plus avoir aucun lien avec leur parcours de transition. Donc voilà, ça faisait aussi partie de la question de l’anonymat lié à leur propre parcours de transition en fait.

Chandrou : Le but de cette étude est donc d’identifier les situations de vulnérabilité au niveau personnel et social des personnes trans qui vivent avec le VIH, de comprendre les obstacles à leur prise en charge médicale, mais aussi leurs besoins de santé.

Chandrou : Vous avez administré des questionnaires aux volontaires de cette étude, à quoi correspondaient ces questions ?

Giovanna : Je pense qu’une des questions pour moi, qui était fondamentale, c’était le niveau de violence qu’elle avait vécu dans son parcours de vie. On demandait le niveau de violence, la récurrence des violences, si elle avait dénoncé ou pas cette violence.

Chandrou : Quand les questionnaires étaient administrés, j’imagine que le fait aussi d’être entre personnes trans concernées, ça pouvait aussi aider. Comment ça se passait ?

Giovanna : Un des objectifs aussi de la recherche, c’était que les personnes qui allaient administrer les questionnaires, qui allaient passer les questionnaires avec les personnes concernées, on voulait que ce soit aussi des personnes trans issues de la communauté. Et c’est ça qui effectivement a permis de faire en sorte qu’il y a eu une facilité des réponses de la part des personnes, surtout quand il s’agit de parler des parcours si intimes, quand par exemple il faut parler de travail du sexe, de parler peut-être du nombre des rapports sexuels qu’on peut avoir…

Chandrou : Justement, on comprend quand même un parcours qui peut être compliqué pour les personnes trans. D’après vous, qu’est ce qui les motive à venir re-raconter encore ces histoires, à répondre à un questionnaire qui dure plusieurs heures ?

Giovanna : Pour nous, la mise en place petit à petit de plusieurs projets recherche dont celui-là, Trans VIH, venait en quelque sorte rendre justice et réparation pour cette personne en leur disant : voilà enfin, la communauté trans a été capable de s’organiser, de se mobiliser, même sur le plan de la recherche. Et maintenant on va s’en occuper pour réclamer ensemble, mais dans son volet scientifique, en produisant des données ensemble. Mais pour le faire, il faut que tu sois aussi participative et que tu puisses répondre.

Musique

Chandrou : Marion Morat, vous êtes ingénieure de recherche Inserm et vous vous êtes occupée de la récolte des données de l’étude. Comment ça se passe la transmission comme ça de méthodes, quelque part scientifiques, à des personnes qui ne le sont pas ?

Marion Mora : On leur a expliqué du coup le respect du protocole et du circuit de données. Ça a été essentiellement sur ça qu’a porté la formation. Et elles ont fait, elles ont apporté toute leur expérience de vie auprès des personnes. Et donc voilà, sur ça, on n’a pas eu besoin de les former à l’empathie, à la bienveillance, à la non-discrimination : tout ça, c’est des choses qu’elles ont faites d’elles-mêmes.

Chandrou : Quel est le nombre de volontaires qui a été inclus dans cette étude ?

Marion Mora : Comme c’est un projet, en fait, à visée exhaustive, on cherchait à atteindre quasiment la totalité de la population suivie dans les services VIH en France. Donc on avait estimé à peu près à 900 personnes et au final, on a réussi à en enquêter 500.

Chandrou : Grâce aux questionnaires, on va pouvoir commencer à identifier les contours des parcours de vie des personnes trans et les risques liés au VIH.

Alors Margot Annequin, vous êtes ingénieure de recherche au laboratoire du Sesstim. Est-ce que vous pouvez me parler un peu des premiers résultats de cette étude ?

Margot Annequin : Une enquête qui montre que les femmes trans vivant avec le VIH ont une situation sociale et administrative difficile. Enfin, elles font face à une grande précarité, notamment en partie liée au fait qu’elles sont très peu, par exemple, à avoir des papiers d’identité qui correspondent à leur genre. Seule une sur 4, 25 %, a des papiers qui correspondent à leur genre.

Chandrou : Dès lors, pour bien comprendre ne serait-ce que l’étape de la prise en charge médicale peut être compliquée, parce que si on n’est pas genré correctement, ça peut être compliqué d’un point de vue médical pur.

Musique

Chandrou : D’après vous, quelles seraient les recommandations possibles en prévention de la santé sexuelle ?

Margot Annequin : On va pouvoir vraiment décrire, notamment par exemple sur l’accès au dépistage avant le diagnostic qui est très faible par exemple, dans le cadre des personnes qu’on a interrogées, elles sont seulement une sur deux à avoir eu accès à un dépistage avant le diagnostic, c’est-à-dire que le diagnostic VIH, c’est le premier dépistage.

Chandrou : La première fois qu’elles vont faire un test VIH : elles sont identifiées comme séropositives.

Margot Annequin : C’est ça. Donc ça montre un vrai manque d’accès au dépistage dans cette population. Donc on sait qu’il va y avoir des efforts à faire de ce côté-là. On sait que le milieu médical pour les personnes trans, c’est un milieu où elles ont connu énormément de discriminations, qu’elles continuent à en subir et donc elles vont pas aller forcément : vous n’avez pas envie d’aller voir le médecin si vous savez qu’on va vous faire des réflexions sur votre genre, sur votre identité, sur votre manière de vous habiller. Donc vous allez juste pas y aller.

Chandrou : On le sent, dans votre façon de raconter l’étude, le fait qu’il y a une vraie horizontalité et un partage des responsabilités, ce qui est quand même assez rare dans une étude scientifique.

La plupart du temps, il y a un mur entre les volontaires d’un côté et les scientifiques de l’autre. Là, c’est vrai que ce qui est très intéressant dans votre étude, c’est que pour le coup, il n’y a pas du tout un mur, au contraire, il y a un pont.

Margot Annequin : Oui, bien celles qui nous en apprennent tout en fait. Enfin, nous on est là pour mettre en forme de manière scientifique, d’appliquer la méthode scientifique, mais il y a beaucoup, on a beaucoup d’humilité. Je pense que pour faire de la recherche communautaire, c’est ça : il faut être humble en tant que chercheur sur les connaissances qu’on a et se dire que nos connaissances sont au même niveau que les connaissances des personnes concernées.

Chandrou : C’est incroyable une étude où des scientifiques apprennent des choses : on est preneurs. Eh bien merci beaucoup !

Margot Annequin : Merci, merci.

Chandrou : D’ailleurs, vous-même, Giovanna, vous avez répondu au questionnaire. Quelles émotions ça a fait en vous quand vous avez répondu à ce questionnaire qu’en plus vous avez contribué aussi à créer ?

Musique

Giovanna Ricon : Répondre au questionnaire, c’était pour moi, enfin, la conclusion et l’aboutissement d’une chose qui me semblait extrêmement vitale dans la production des données pour démontrer que l’impact de l’épidémie du sida dans la population trans avait été ignoré et que nous, on était là pour rappeler que, en répondant et moi, à ce moment là où je répondais, au-delà de l’émotion de devoir répondre aux questions très intimes, j’étais aussi dans la fierté de remplir un questionnaire qui allait servir à quelque chose pour la communauté.

Chandrou : J’ai hâte de découvrir les résultats quand ils seront publiés. À très vite pour de nouvelles rencontres scientifiques avec les volontaires. Merci d’avoir écouté cet épisode consacré aux volontaires qui participent à la recherche sur le parcours de vie des personnes trans et leur possible exposition au VIH.

Les volontaires ? C’est un podcast de l’Inserm produit par Maison K Prod.

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Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.