Chasser les dragons pour rééduquer son audition

« Chasser les dragons pour rééduquer son audition » est l’épisode 09 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

Emy, 8 ans, est atteinte de surdité sévère et porteuse d’un implant cochléaire. Ce dispositif stimule directement les fibres de son nerf auditif par des impulsions électriques. Si cet appareil améliore son audition, la petite fille rencontre des difficultés à localiser les sons dans l’espace. C’est pour comprendre ce phénomène et aider les enfants comme Emy qu’est né le projet KidTrain. Grâce à un casque de réalité virtuelle, Emy va chasser les dragons et… rééduquer son audition !

Invitées

  • Valérie Gaveau, maîtresse de conférences à l’Institut des sciences et techniques de la réadaptation, et chercheuse au sein de l’équipe Impact au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRL).
  • Aurélie Coudert, médecin ORL, et chercheuse au sein de la même équipe
  • Léa Legret, orthophoniste.

Chacune contribue au projet KidTrain.

Écouter l’épisode

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Durée : 14 min 36

Transcription de l’épisode

Musique

Chandrou : Bonjour, pour ce nouvel épisode, je suis à Lyon pour une étude qui implique des jeunes.

Emy : Bonjour, je m’appelle Emy, j’ai huit ans.

Chandrou : Et des dragons ! J’ai hâte de voir ça. 

Grognements

Vous écoutez le podcast Les volontaires dans lequel on va à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm. L’Inserm, c’est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine. Je suis Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences. Ensemble, nous allons découvrir comment la technologie peut être mise au service d’une rééducation 2.0. Des scientifiques utilisent un casque de réalité virtuelle pour aider les enfants malentendants à localiser d’où viennent les sons autour d’eux et pour cela, ils font appel à des dragons ! Mais comment s’assurer que cette méthode innovante est efficace et adaptée aux jeunes volontaires ? C’est tout l’objectif de l’étude scientifique Kid Train ou en français « Entraînement des enfants ». Allez, on y va ! Bonjour ! Et comme j’aime le clamer haut et fort : la science, c’est avant tout une aventure humaine. Je vais donc à la rencontre d’Emy.

Emy : On voit les dragons.

Chandrou : Une mini volontaire de huit ans et de son papa, Bruno.

Bruno : Bonjour ! Oui, c’est ça, je suis le papa d’Emy.

Chandrou : Ainsi que des scientifiques Valérie Gaveau, Aurélie Coudert et Léa Legret du Centre de recherche de neurosciences de Lyon Inserm U1028.

Aurélie Coudert : Bonjour Emy. Tu viens, on rentre dans la salle ? Oui, c’est parti. T’es prête ?

Emy : Oui, prête !

Aurélie Coudert : Super ! On va voir les dragons ?

Emy : Oui, je connais les dragons.

Aurélie Coudert : Bon, allez, on y va.

Emy : Allez, c’est parti !

Chandrou : Je suis actuellement dans une petite pièce de l’hôpital Édouard-Herriot.

Aurélie Coudert : Mais dis donc, tu es bien installée avec ta petite chaise.

Emy : Ben oui.

Chandrou : Devant moi, il y a Emy, huit ans, atteinte de surdité sévère. Son papa Bruno, qui veille sur elle et Valérie Gaveau, Corine Amate et Aurélie Coudert qui mènent une drôle d’expérience. Emy porte sur ses yeux un casque de réalité virtuelle. Vous savez, ces casques électroniques imposants qu’on pose sur nos nez et qui prennent tout notre champ visuel pour diffuser des images sur écran. L’avenir du jeu vidéo, à ce qu’il paraît.

Aurélie Coudert : Donc elle va nous aider à le positionner et une fois qu’il sera bien mis, on pourra commencer le jeu avec les dragons.

Chandrou : Emy entend des mots qui sont prononcés autour d’elle.

Voix de synthèse : répète le mot « caillou »

Aurélie Coudert : Tu regardes la croix.

Voix de synthèse : répète le mot « volcan »

Chandrou : Et elle doit indiquer avec le bout de son nez d’où provient le son en question.

Voix de synthèse : répète le mot « bouquet »

Emy : là !

Valérie Gaveau : Bravo ! Bonjour, je m’appelle Valérie Gaveau. Je suis maître de conférences à l’Institut des sciences et techniques de la réadaptation de Lyon.

Chandrou : C’est vous qui faites passer les tests aux jeunes volontaires.

Valérie Gaveau : L’idée de l’expérience KidTrain en fait, c’est d’entraîner les enfants à localiser des sons. Et en fait, on va se servir d’indices visuels pour les aider à localiser des sons. Et en fait, on a besoin impérativement de maîtriser tout ce que les enfants voient dans le casque. Et donc du coup, on utilise un casque de réalité virtuelle qui permet d’afficher des dragons.

Emy : Tu dois faire tourner la tête. Et quand, quand tu as retrouvé la réponse, tu dis « C’est bon » et Valérie, elle clique.

Valérie Gaveau : C’est juste à côté. Bonne direction. Donc l’objectif de l’étude KidTrain, c’est permettre à des enfants qui ont des déficits pour localiser les sons, d’utiliser leurs performances à localiser visuellement les sons pour pouvoir réapprendre à identifier d’où viennent les sons qui sont entendus.

Emy : Mais de temps en temps, il y a le dragon invisible. Le dragon parle et tu dois le trouver où il est.

Chandrou : Emy perd son audition depuis sa naissance. Comme un enfant sur 1 000, elle est atteinte d’une surdité sévère. Si aujourd’hui, elle entend, c’est grâce à un dispositif électronique qu’on appelle un implant cochléaire.

Léa Legret : Alors, je m’appelle Léa Legret. Je suis orthophoniste depuis huit ans et je travaille depuis six ans au centre d’implantation cochléaire de Lyon. Alors un implant cochléaire, c’est un dispositif chirurgical qu’on met donc par chirurgie à des enfants ou à des adultes. Dans le cas de surdité sévère, profonde, lorsque les appareils ne sont pas suffisants pour avoir une perception satisfaisante, on le pose sur l’oreille avec un embout dans l’oreille, alors que l’implant va devoir passer par une chirurgie, puis on va avoir des réglages progressifs. Ça c’est pareil pour les appareils auditifs. Et vraiment au niveau du traitement du son, on va être sur une stimulation électrique. Donc le codage des informations est vraiment différent d’un appareillage classique qui va vraiment juste amplifier le signal.

Chandrou : Mais cet implant ne permet pas de retrouver toutes les capacités liées à l’audition comme la localisation du son. Et c’est ce qui nous intéresse dans l’étude Kid Train. Savoir d’où un son provient peut sembler anecdotique, mais on utilise cette capacité en quasi permanence. Quand on se promène dehors par exemple, et qu’on entend le bruit du klaxon, c’est parce qu’on sait automatiquement d’où vient le son qu’on sait comment se déplacer. Et bien imaginez qu’Emy, quand elle entend un klaxon, elle est incapable de savoir comment réagir. Et ce n’est pas la seule situation compliquée pour elle…

Emy : Parce qu’il y a beaucoup de bruits « wouf » dans l’école et ben j’ai du mal à travailler et à me concentrer sur mon travail.

Chandrou : Ça t’arrive quand t’es dans la classe, quand t’es dans la cour, ça t’arrive à quel moment ?

Emy : Ça m’arrive à me tromper à cause des gens qui parlent.

Chandrou : Bruno, le papa d’Emy.

Bruno : Alors à la maison, elle a deux petits frères qui sont assez bruyants parce qu’ils sont petits. Ils ont deux et quatre ans. Donc des fois c’est difficile quand ils font beaucoup de bruit pour elle, de comprendre ce qu’on dit. Donc on est obligés de répéter souvent. Pareil en classe, quand il y a beaucoup d’enfants qui parlent en même temps, qui font du bruit. Je sais que pour Emy, d’après la maîtresse, ça peut être compliqué de se concentrer aussi.

Aurélie Coudert : Alors bonjour Chandrou, donc je suis Aurélie Coudert, je suis médecin ORL et chercheur au sein du laboratoire Impact à Lyon. Il faut imaginer que quand on essaye de localiser un son, eh bien on utilise deux cartes spatiales dans notre cerveau : la carte visuelle qui nous permet de localiser avec nos yeux et la carte auditive qu’on utilise avec nos oreilles. Et le problème quand on est malentendant et qu’on est implanté cochléaire : on a une carte visuelle qui fonctionne bien. Mais par contre, la carte auditive, elle, est défaillante. Donc avec la rééducation, on espère pouvoir re-matcher ces deux cartes – visuelles et auditives – pour que ces deux cartes deviennent enfin complémentaires chez ces enfants.

Chandrou : L’objectif de l’étude Kid Train est donc de trouver une méthode efficace pour entraîner le cerveau d’Emmy, ainsi que de 16 enfants de 7 à 17 ans à mieux localiser les sons grâce à un entraînement de 4 semaines. Léa Legret est orthophoniste. Elle reçoit des patients avant et après que le dispositif cochléaire soit implanté et elle contribue à l’étude Kid Train.

Léa Legret : Je reçois les patients dans le cadre de leur suivi du réglage de leur implant cochléaire. Et puis je vais, en fonction du profil, pouvoir proposer cette étude aux patients. Puisqu’en fait, là, dans cette étude, c’est la localisation de son. C’est quelque chose qui est pas facile quand on est implanté cochléaire et du coup on va essayer de trouver des patients qui peuvent répondre à ces critères, donc qui ont déjà développé une perception qui est satisfaisante avec une aussi une bonne compréhension de la parole pour bien comprendre les consignes qu’on va leur proposer aussi. Allez, je vais dire 75 % des patients à qui j’ai proposé cette étude sont intéressés et ont envie d’être recontactés par l’équipe qui s’occupe de cette étude.

Valérie Gaveau : D’accord. Non parce que celui-là, tu sais très bien le faire. Et en plus, si tu le trouves, il apparaît. Ok, c’est parti pépette !

Emy : Arrête de dire « pépette » déjà !

Voix de synthèse : répète le mot « traineau »

Chandrou : Comment une enfant comme Emy qui a un implant cochléaire, entend le monde qui l’entoure ?

Léa Legret : Elle a été implantée très jeune, donc chez les très jeunes enfants, on a un peu du mal à savoir comment est-ce que l’enfant perçoit, puisque on ne peut pas entendre ce qu’il entend. Nous, ce qu’on peut avoir comme informations, c’est des retours sur l’adulte qui a implanté mais qui a déjà entendu. Donc en général, on nous dit que c’est une perception qui est assez métallique, robotique, mais qui devient de plus en plus naturelle. Donc globalement, là, Emy, elle entend pas aussi bien que nous, mais elle est, en terme de perception auditive, elle n’est pas très loin de ce que nous on peut entendre.

Chandrou : Excepté la spatialisation du son, c’est-à-dire qu’elle entend à peu près comme nous, sans forcément être en capacité de dire « Le bruit vient plutôt de la gauche, plutôt de la droite, plutôt devant, plutôt derrière… ».

Léa Legret : Alors entendre, c’est vraiment percevoir des sons. Après, il y a ce qu’on va faire derrière, de ce qu’on entend. Il y a la compréhension de que je vais mettre derrière, donc l’identification de la parole, l’identification des bruits, etc. Et puis effectivement, la localisation sonore qui est encore une étape dans ma compréhension du monde auditif, on va dire.

Voix de synthèse : répète le mot « muguet »

BRUIT DE CLOCHE

Valérie Gaveau : C’est dehors ça on l’oublie…. On en commence un autre.

Voix de synthèse : répète le mot « docteur »

Chandrou : Aurélie Coudert, médecin chercheuse.

Aurélie Coudert : Alors les meilleurs résultats de notre éducation, c’est des vrais changements dans le quotidien des enfants. Alors ces changements, ça passe par le fait que, quand ils sont chez eux, ils arrivent plus facilement à localiser leur papa ou leur maman quand ils les appellent dans une autre pièce. Mais c’est aussi des enfants qui seraient beaucoup plus confortables dans leur vie de tous les jours, dans les milieux bruyants comme dans la cour de récréation. Parce que ces enfants-là, ils sont souvent fatigués en fin de journée parce qu’ils font énormément d’efforts pour se concentrer à localiser toutes les sources autour d’eux. Alors, ce qu’on espère comme résultats, c’est bien sûr des résultats chiffrés, avec une amélioration des performances absolues finalement de localisation, mais c’est surtout une amélioration de la qualité de vie. Et ça, on arrive à le mesurer avec des questionnaires.

Bruno : Je vois que Emy aussi a fait beaucoup de progrès. Ces progrès, j’ai pu les constater à la maison. Donc des portes qui claquent, des bruits que les petits frères peuvent faire dans une pièce… Elle arrive plus facilement maintenant à me dire d’où vient le bruit, quelle est la porte qui peut claquer ou même, quand on discute, je trouve qu’elle me fait moins répéter aussi. Donc au fil du temps, je vois une nette progression et je pense que c’est bénéfique pour Emy.

Chandrou : Grâce au jeu des dragons adapté au casque de réalité virtuelle, la rééducation auditive des enfants atteints de surdité promet donc d’être facilitée.

Aurélie Coudert : Alors les suites qu’on espère avec l’étude Kid Train, c’est de pouvoir proposer cette rééducation plus largement à l’ensemble des patients implantés, mais aussi des patients qui sont porteurs de prothèses auditives et finalement pas que dans le milieu hospitalier. Mais si on voit à plus grande échelle, ce serait de pouvoir exporter cette rééducation et bien en libéral, notamment avec les orthophonistes.

Voix de synthèse : répète le mot « docteur »

Aurélie Coudert : Bien sûr, au cœur de l’étude, on a nos volontaires qui, petits et grands, à la fois les enfants qui participent, mais leurs parents qui les accompagnent dans l’aventure.

Valérie Gaveau : Allez, tu te concentres encore un peu, d’accord ? Allez, encore un petit peu, on va faire une pause et après on fera une pause. Chaque enfant à une histoire qui est différente. Chaque enfant nous fait confiance, mais la confiance ça se construit. Donc effectivement on est à l’écoute. C’est un jeu. Donc effectivement c’est moi qui leur demande de travailler. Des fois c’est pas évident. Donc je sais les accompagner, lâcher un petit peu mes exigences. À côté de ça, effectivement, ils essaient de travailler parce qu’ils se rendent compte que c’est bénéfique pour eux. Et donc du coup, c’est cette complicité et c’est aussi une complicité qu’on développe aussi avec les parents. Parce que le soir, les enfants rentrent chez eux et racontent ce qu’ils ont vu et racontent à leurs frères et sœurs, à leurs copains. Donc ici aussi, les accompagner dans le discours qu’ils peuvent promouvoir autour de leur… de leur expérience que j’ai réalisée avec l’équipe Kid Train.

Aurélie Coudert : Bravo et dis donc, t’es super forte !

Emi : Oui

Aurélie Coudert : T’as trouvé tout de suite le dragon invisible !

Aurélie Coudert : Merci à Emy d’avoir participé. On dit bravo à Emy !

Emy : Bravo !

Chandrou : J’ai passé une matinée hyper amusante. Non seulement j’ai vu Emy faire des progrès sous mes yeux et s’amuser entourée de dragons, mais j’ai pu voir aussi toute une équipe scientifique qui l’entoure et son papa rempli de tendresse en la voyant s’exercer. À très vite pour de nouvelles rencontres scientifiques avec les volontaires. Merci d’avoir écouté cet épisode consacré aux volontaires qui participent à la recherche sur la localisation du son dans l’espace chez l’enfant. Les Volontaires, c’est un podcast de l’Inserm produit par Maison K Prod. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager autour de vous. Et si vous le pouvez, pensez à nous mettre cinq étoiles sur votre application, ça nous aide vraiment. Partagez, likez…

Bruit de dragon

Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.