« Bonjour, je m’appelle… teuse ! » : Comment les autistes perçoivent leur corps

« Bonjour, je m’appelle… teuse ! : Comment les autistes perçoivent leur corps » est l’épisode 07 de la saison 1 des Volontaires, le podcast de l’Inserm avec les citoyennes et les citoyens qui font avancer la recherche médicale.

Comment faire participer à la recherche clinique des personnes ayant des difficultés à communiquer ? C’est tout l’objet de cet épisode qui suit Gregory, atteint d’un trouble du spectre de l’autisme, volontaire d’une étude au laboratoire Inserm iBraiN à Tours. L’objectif ? Comprendre comment il perçoit ses propres sensations corporelles. Bienvenue dans le monde fascinant de l’intéroception.

Invités

  • Frédéric Briend, enseignant chercheur au sein du laboratoire iBraiN
  • Raphaël Gautier, doctorant au sein du laboratoire iBraiN
  • Sophie Biette, présidente de l’Adapei de Loire-Atlantique, qui accompagne les personnes autistes et leurs familles.

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Transcription de l’épisode

Musique d’intro

Chandrou Koumar : Bonjour, vous écoutez Les volontaires. Soyez les bienvenus dans le podcast qui va à la rencontre de celles et ceux qui participent à la recherche médicale de l’Inserm. L’Inserm, c’est le seul organisme de recherche publique entièrement dédié à la santé humaine. Je suis Chandrou Koumar, journaliste, docteur en neurosciences. Pour ce nouvel épisode, on va s’intéresser aux personnes avec autisme et à la façon dont ils perçoivent leur propre corps en fonction du comportement des personnes autour. Pour comprendre cela, pas de panique, aucun coup de pression n’est mis à nos volontaires ! Et comme j’aime le rappeler : la science, c’est avant tout une aventure humaine. On va donc s’intéresser à une étude qui plonge dans le fonctionnement du cerveau. Pour découvrir tout ça, je suis venu à Tours. Je vais à la rencontre de Gregory, un volontaire qui a la particularité d’être dans le spectre de l’autisme…

Gregory : J’ai été diagnostiqué dans le Centre Ressources Autisme le 19 mars 2021. C’était à 15 h 54.

Chandrou : … ainsi que les scientifiquesFrédéric Briend…

Frédéric Briend : Bonjour Chandrou, bienvenue à la MAME, la cité de la création et l’innovation de Tours. On va descendre tout doucement en fait, vers l’annexe de notre laboratoire.

Chandrou : …et Raphaël Gauthier, qui collabore au sein du laboratoire iBrain Imagerie et cerveau, qu’on appelle aussi « l’UMR Inserm U1253 ».

Frédéric : Rentrons maintenant dans notre dispositif. C’est un dispositif de réalité immersive. Avec, vous voyez, différentes pièces : ce petit bureau de recherche ; la cave, c’est un dispositif de réalité immersive. Donc en soi, c’est un cube blanc où il y a différents faits de projections de vidéoprojecteurs. Et à côté, c’est la salle d’accueil des différents volontaires, des participants pour notre recherche. Et c’est également là où on leur fait passer différents questionnaires : cognitif ou comportemental.

Raphaël Gauthier : Bonjour Gregory.

Gregory : Bonjour Raphaël.

Raphaël : Vous allez bien ?

Gregory : Ça va. Et vous ?

Fin de la musique

Raphaël : Ça va super ! Alors aujourd’hui, on s’intéresse à l’intéroception. L’intéroception, c’est la capacité qu’on a à porter notre attention et à ressentir les signaux qui proviennent de l’intérieur du corps. Donc ça peut être la respiration, les battements de cœur, la digestion, ce genre de choses. Ce qui m’intéresse, moi, aujourd’hui plus particulièrement, c’est les battements de cœur. Aujourd’hui, dans l’expérience que je vais vous demander de réaliser, vous devrez compter les battements de cœur que vous ressentez durant différents intervalles de temps. Je vous demande de ne compter que les battements que vous ressentez réellement et de ne pas essayer de deviner le nombre de battements qui ont réellement eu lieu.

Gregory : D’accord. Bonjour, je m’appelle… Teuze ! Non, c’est pas vrai, je m’appelle Gregory, j’ai 24 ans et je suis volontaire aujourd’hui pour participer à une recherche de l’unité Inserm 1253.

Chandrou : Est-ce que vous aviez des attentes ou des appréhensions particulières avant de débuter cette expérimentation ou même pendant ?

Gregory : Je me souviens, quand j’étais petit, je voyais des films où il y avait des expérimentations un peu douteuses. On a toujours un petit peu cet aspect de film dans la tête, un peu fiction, où ils vont nous faire des choses un peu bizarres alors que pas du tout ! Comme on dit, on déchante rapidement dans ces cas-là et c’est pas plus mal parce que j’ai pas trop envie qu’on me fasse des trucs bizarres ! Donc il y avait un peu cet aspect-là qui tombe très rapidement. Ensuite, il y a toujours un peu l’aspect : « Est-ce que ça va bien se passer ? » Mais l’avantage, c’est que s’il y a bien un milieu où je sais que les gens font attention à tout ce qui va être sensoriel et qui peut me déranger ailleurs, c’est ici.

Chandrou : Pas moins de 52 volontaires participent à l’expérience tourangelle.

Raphaël : Alors je m’appelle Raphaël Gauthier. Je suis doctorant en deuxième année au laboratoire iBrain, qui est affilié à l’Inserm et à l’université de Tours. Donc, généralement, c’est des personnes qui sont suivies au sein du centre du Centre Ressources Autisme auquel on est affilié. Et donc c’est des personnes qui ont déjà participé à plusieurs protocoles, qui ont l’habitude de revenir. C’est des personnes avec lesquelles on peut collaborer dans une certaine mesure, parce que c’est des personnes qui sont demandeuses de venir et qui vont vraiment être actrices de la recherche par leur participation répétée à différents protocoles de recherche.

Chandrou : Frédéric Briend, enseignant chercheur

Frédéric : Alors dans la sémiologie consensuelle, donc la sémiologie médicale, c’est-à-dire l’étude des signes, classiquement, le trouble du spectre de l’autisme est vu comme un trouble du neurodéveloppement. Ça arrive dès in utero et donc c’est un trouble qui va suivre une trajectoire, en termes de temps, et qui va donc s’étioler en ce qu’on appelle un « spectre ». C’est ce pourquoi on l’appelle un « spectre ». C’est assez large et donc les caractéristiques, les symptômes, les signes peuvent être un peu différents d’un individu à un autre.

Musique

Raphaël : On va pouvoir passer à la pose du bonnet d’EEG qui va me servir à enregistrer l’activité de votre cerveau pendant que vous réaliserez cet exercice.

Gregory : C’est bon pour moi.

Fin de la musique

Raphaël : Les personnes avec autisme vont avoir des hypersensibilités aux stimuli qui proviennent de l’environnement, elles vont mal supporter certaines stimulations sensorielles. On peut avoir également des hyposensibilités, c’est-à-dire des stimulations sensorielles qui sont de moins en moins perçues vis-à-vis de l’environnement.

Gregory : Ce qui peut déranger dans mon cas, c’est des choses qu’on retrouve ou non avec d’autres personnes autistes. Pour moi, ça va être principalement l’aspect sensoriel et aussi les consignes.

Musique

Raphaël : Un tour de tête de 61 cm. Je vais chercher le bonnet qui correspond et je vais pouvoir le plonger dans l’eau.

Gregory : Quelque chose qui peut rapidement me mettre en défaut, c’est quand les consignes sont pas bien expliquées. Mais ici, on a une explication avant de commencer, avant chaque étape et entre chaque grande étape. Et on répète parce qu’en fait, c’est pas qu’on comprend pas les consignes, c’est que quand il y a une ambiguïté, ça peut être compliqué de la lever. C’est le premier point chez moi et le deuxième, c’est tout ce qui va être sensoriel.

Musique

Raphaël : Sur chacun de ces capteurs, il y a une petite éponge et cette éponge va venir faire contact entre le capteur en lui-même et votre et votre tête. Il faut que cette éponge soit mouillée pour pouvoir enregistrer le signal.

Gregory : Aujourd’hui, il fait assez chaud. Ça tombe bien, la solution dans laquelle était trempée le bonnet était assez froide. Donc ça va.

Musique

[bruits d’eau qui coule]

Raphaël : Donc je vais venir poser le bonnet sur votre tête. Donc vous voyez, comme il a trempé un peu dans l’eau, ça peut être un petit peu froid, un petit peu mouillé. Est-ce que c’est ok pour vous ?

Gregory : C’est ok. Il y a aussi la lumière : les lunettes 3D clignotaient un peu aujourd’hui et ça pouvait déranger au bout d’un moment. Mais là, ça a pas duré longtemps. Puis aussi les bruits, les néons qui sont souvent très dérangeants parce que c’est des lumières assez intenses et pareil, elles peuvent clignoter quand ils sont légèrement défectueux et ça fait assez mal aux yeux… Les odeurs… Faire attention à pas être trop proche, qu’il n’y ait pas trop de monde. Parce que quand il y a des personnes, ça a tendance à faire un peu de bruit, les gens bougent, ce qui est normal : si ils bougeaient pas, ce serait bizarre

et ça peut être dérangeant. Et donc là, quelque part, c’est le protocole qui l’exige : d’avoir le moins d’interférences possible. Mais en plus de ça, il y a une attention particulière qui est prêtée aux consignes et quand même à tout ce qui est un peu de l’ordre du bien-être.

Raphaël : Je vais vous demander de me suivre et vous allez pouvoir vous installer.

Chandrou : Je suis avec Gregory et les équipes de recherche dans une petite salle. Gregory est assis sur un siège et en face de lui des grands écrans qui lui permettent d’être immergé dans un environnement totalement virtuel.

Gregory : Ici, on est dans une sorte de salle d’attente, en tout cas ce qui y ressemble. On a l’impression d’être assis et on est en face d’une personne qui lit un livre qui précédemment se trouvait sur une petite table qui est placée innocemment dans la salle d’attente, pour faire comprendre que c’est une salle d’attente. Le deuxième environnement est similaire, à la différence que la personne n’est pas présente. La salle d’attente est vide avec une chaise devant moi, ainsi que le livre que la personne tenait entre ses mains, posé sur la petite table sur une pile de livres.

Chandrou (chuchote) : Tout l’enjeu de cette expérience est de pouvoir comparer le nombre de battements de cœur que Gregory va réussir à détecter en fonction de l’environnement et de les comparer avec le nombre réel de battements du cœur, mais aussi l’activité électrique du cerveau pour voir si, en fonction de la présence d’une personne ou non en face de lui, Gregory ressent son corps de façon différente.

Raphaël : Donc si vous êtes prêt, on va pouvoir lancer l’exercice en tant que tel. Donc pour cet exercice, je vous le rappelle, vous aurez un premier bip qui annonce le début d’un intervalle de temps. Lorsque ce premier bip retentit, je vous demande de commencer à compter les battements de votre cœur et vous aurez un deuxième bip qui va annoncer la fin de l’intervalle. Et lorsque ce bip retentit, je vous demande de m’annoncer à voix haute le nombre de battements que vous avez compté.

[les 2 bips retentissent avec quelques secondes d’intervalles]

Musique

Gregory : 65.

Raphaël : Parfait ! Donc maintenant je vous demande de faire exactement le même exercice, mais dans le deuxième environnement.

[les 2 bips retentissent avec quelques secondes d’intervalles]

Gregory : 123.

Fin de la musique

Frédéric : Donc, l’intéroception, c’est la manière notamment de traiter, pardon, d’interpréter les signaux à l’intérieur du corps. Donc le plus simple, c’est son cœur. Après un footing ou après un exercice physique, on va ressentir son cœur battre et donc nous en fait, on a envie de caractériser cette intéroception sur le trouble du spectre de l’autisme, notamment parce que ça correspond pas mal à la symptomatologie, donc les symptômes de l’autisme où ils vont dire qu’ils ne vont pas forcément ressentir à l’intérieur de leur corps, où ils vont aller essayer de le toucher ou alors essayer de traiter cette information différemment. Et aujourd’hui, il n’y a pas de consensus scientifique sur une possible ou non altération de cette intéroception.

Chandrou : Donc si je comprends bien, il y aurait un lien entre les troubles émotionnels et la capacité des personnes autistes à ressentir l’intérieur de leur corps ?

Frédéric : Probablement, on en est toujours à l’état de recherche. Une étude va montrer ça dans un sens, une autre dans un autre sens. Donc nous, justement, on essaye de démêler, démystifier un peu ces mystères autour de l’intéroception dans l’autisme.

Raphaël : Ok, l’expérience est terminée. Est-ce que ça s’est bien passé pour vous ?

Gregory : Oui. C’est assez inhabituel, disons que c’est rare qu’on soit dans une salle d’attente et qu’on nous demande de compter le nombre de battements de cœur que l’on ressent ! C’est assez atypique, mais ça se passe bien, ça se fait bien.

Raphaël : Il y a un aspect contribution à la recherche qui est assez important et très motivant de s’impliquer dans la recherche pour faire avancer, de se mettre dans l’ambiance, de participer à ces milieux. Autrement, on ne peut pas trop y accéder. C’est un peu, un peu boîte noire, on ne voit pas trop ce qu’il y a derrière.

Gregory : Il y a un petit jeu que je m’amuse à faire, c’est d’essayer de comprendre ce qui se passe dans l’étude. Mais il y a un moment où on me demande forcément de me concentrer et c’est toujours une ambiance particulière que j’aime beaucoup. D’être assez rigoureux, de faire attention à plein de choses puisque ce que j’aime beaucoup, c’est pouvoir lire aussi des études, les résultats et voir un peu de tout ce qui a été pensé et évoqué quant à la manière de faire passer le protocole aux points de vigilance très importants pour le biaiser un minimum. Et c’est toujours super intéressant de se retrouver dans ces ambiances là où on fait attention à vraiment beaucoup de choses sans que ça se perçoive forcément par les volontaires.

Musique

Chandrou : Il n’y a pas loin d’un million de personnes avec autisme en France et toutes ne sont pas forcément en capacité de parler comme Grégory. Alors que dans l’expérience de Tours, c’est indispensable. Mais dans ce cas, comment est-il possible de réaliser des expériences avec des personnes qui ont des difficultés à communiquer ? Pour avoir une réponse pertinente, j’appelle de ce pas Sophie Biette qui, elle, est à Nantes. Elle est maman de Marie, une jeune femme autiste de 32 ans qui présente un autisme sévère, non verbal.

Sophie : Allô ?

Chandrou : Allô Sophie ?

Sophie : Bonjour Chandrou !

Chandrou : Sophie est aussi présidente de l’Adapei de Loire-Atlantique qui accompagne les personnes autistes et leurs familles.

Sophie : Tout d’abord, plus que d’être non-verbales, ces personnes ne comprennent pas forcément la question posée par l’objet de la recherche. Donc en fait, l’idée c’est de pouvoir considérer que les proches, c’est-à-dire ceux qui vivent avec elles (alors ça peut être leurs parents, mais ça peut être aussi, si elles sont adultes et qu’elles habitent dans une maison dédiée ou dans ce qu’on appelle un « établissement spécialisé », les professionnels du quotidien qui les connaissent bien, qui connaissent bien leurs réactions), puissent, quelque part, être le transmetteur de leurs réactions par rapport à telle ou telle situation que le chercheur souhaiterait pouvoir évaluer. En fait, toute personne peut, malgré tout, transmettre aux chercheurs des informations. Que ce soit par la voie orale et via son profil cognitif qui est en capacité de le faire ou via des attitudes, des réactions, des modes de communication qui sont complètement décalés par rapport à ce qu’on a l’habitude dans le quotidien de voir. Voilà qui communiquent par objets ou par des pictogrammes, enfin qui peuvent arriver à exprimer leurs propres ressentis. Mais ça peut être aussi à partir d’attitudes, de discours qui pourront être décryptés par les entourages très proches.

Chandrou : Frédéric Briend, le temps d’inclusion de votre expérience va durer environ trois ans. À quels premiers résultats vous pourriez vous attendre au bout de ces trois ans ?

Fréderic : Donc c’est encore assez difficile à décrire. Mais possiblement on devrait retrouver une altération de l’intéroception, puisque ça serait directement preuve en fait des différents signes qu’on peut avoir directement à travers nos participants qui ont un TSA. Mais ces altérations, si on les retrouve, on pourra ensuite les transformer en « profils intérocéptifs » et avoir différents outils de recommandation et thérapeutiques pour gommer justement certains symptômes des troubles du spectre de l’autisme, notamment par des TCC, donc des thérapies cognitivo-comportementales, qui sont souvent prodiguées par des psychologues et/ou des psychiatres.

Chandrou : Donc en fait, après les résultats de votre expérience, il y aura peut-être une sorte de nouvelle forme de prise en charge pour que les personnes autistes puissent mieux capter l’intérieur de leur corps, ce qui pourrait avoir un impact sur l’identification de leurs émotions ou sur leur façon de ressentir leurs émotions ?

Frédéric : Exactement. Après, c’est toujours difficile de lier directement les émotions et les ressentis des signaux intérieurs du corps, mais ça pourrait être une voie tracée en effet, en projetant ça dans un futur un peu plus loin quand même…

Musique

Chandrou : C’était une journée super intéressante.

Aujourd’hui, j’ai pu voir à quel point les équipes de recherche peuvent s’adapter aux particularités de chacune et chacun, notamment dans le cadre du spectre de l’autisme. À très vite pour de nouvelles rencontres scientifiques avec les volontaires. C’est la fin de cet épisode. Merci de l’avoir écouté. Les volontaires, c’est un podcast de l’Inserm produit par Maison K Prod. À bientôt pour de nouvelles aventures et de nouvelles études en recherche médicale. Et si vous avez aimé cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager autour de vous. Et si vous le pouvez, pensez à nous mettre cinq étoiles sur votre application, ça nous aide vraiment !

Autour de l’épisode

Une série créée par l’Inserm, orchestrée par Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neurosciences et produite par MaisonK Prod. Musique et mixage : Ben Molinaro. Graphisme : Anna Toussaint.