Insomnie

Un trouble neurobiologique et psychologique

L’insomnie correspond à un déficit involontaire de sommeil. Il s’agit d’une pathologie complexe qui associe deux composantes : neurobiologique et psychologique. Les données recueillies chez différentes espèces animales et chez l’humain ont permis de décrypter certains de ses mécanismes, mais la maladie reste très imparfaitement comprise. Toutefois, des traitements existent, parmi lesquels les approches non médicamenteuses sont les plus efficaces. Les recherches sur cette maladie se poursuivent, pour réduire son impact chez les personnes qui en souffrent et son important coût social.

Dossier réalisé en collaboration avec Joëlle Adrien, directrice de recherche à l’Inserm, équipe Vigilance, fatigue, sommeil et santé publique (VIFASOM, Université Paris-Cité).

Comprendre l’insomnie

L’insomnie correspond à une insuffisance de sommeil en quantité ou qualité, alors que les conditions environnementales sont favorables au sommeil. En pratique, elle se caractérise par des difficultés d’endormissement, des éveils nocturnes et/ou un réveil trop précoce, avec la sensation de ne pas avoir récupéré suffisamment.

Transitoire ou chronique

Les insomnies ponctuelles ou transitoires sont fréquentes : elles sont généralement liées à un évènement ou un comportement susceptible de perturber le sommeil : stress, déprime, repas copieux, douleur, consommation d’excitants…Elles durent une seule ou quelques nuits, et se résolvent avec la disparition du facteur déclenchant. 

L’insomnie devient chronique si elle survient plus de trois fois par semaine depuis au moins trois mois, et que les tentatives d’adaptation de l’environnement ou du comportement ne permettent pas de les faire disparaître. L’insomnie chronique dépend de trois facteurs : 

  • Un facteur prédisposant à un sommeil perturbé, comme une susceptibilité génétique (par exemple associée à un sommeil léger) ou psycho-sociale (tel qu’un traumatisme dans l’enfance).
  • Un facteur précipitant en raison duquel le patient bascule dans l’insomnie : difficulté de vie, stress, surmenage…
  • Un facteur d’entretien (ou de chronicisation) qui va contribuer à installer le trouble dans la durée : la mise en place d’habitudes et de comportements inadaptés (comme passer trop de temps au lit pour une autre activité que le sommeil), une anxiété face à la nuit, une obsession pour le sommeil...

Une maladie très fréquente et des facteurs de risque

De l’ordre de 15 à 20 % de la population est atteinte d’insomnie, selon les études. Et 9 % des personnes concernées souffriraient d’une forme sévère avec un impact important sur la vie quotidienne. L’incidence est plus élevée chez les femmes. Par ailleurs, elle augmente avec l’âge : le vieillissement est en effet associé à une dégradation de la qualité du sommeil, aggravée par la sédentarité et la somnolence diurne.

Différents facteurs de risque individuels d’insomnie ont en outre été identifiés :

  • Les personnes atteintes d’anxiété ou de dépression auraient 7 à 10 fois plus de risque de souffrir d’insomnie chronique que les autres.
  • Être sans emploi, vivre seul, souffrir d’une maladie chronique somatique (maladie cardiovasculaire, asthme, douleurs chroniques...) sont également décrits comme des facteurs de risque.
  • Les mécanismes de certaines maladies neurologiques augmentent aussi la probabilité d’insomnie : c’est notamment le cas de la maladie d’Alzheimer et de la maladie de Parkinson qui perturbent le rythme circadien et sont responsables de troubles du sommeil chez 30 % à 50 % des malades. 
  • Enfin, le risque d’insomnie a une composante génétique. Des études épidémiologiques ont montré une agrégation familiale des cas d’insomnies. Ce trouble du sommeil pourrait donc être liée à des facteurs familiaux, notamment de facteurs génétiques multiples impliqués dans la régulation de l’éveil, de l’activité cérébrale, de la transition entre veille et sommeil ou de la réponse au stress ou de la sensibilité à la lumière. Toutefois, aucun gène spécifique n’a pour l’heure été identifié. 

Les mécanismes de l’hyper-éveil

L’insomnie chronique serait liée à un problème de régulation des mécanismes de veille et de sommeil. Les personnes qui souffrent d’insomnie présentent un « hyper-éveil », caractérisé par une activité accrue du système nerveux central et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien impliqué dans la réponse au stress. Cette hyperactivité peut être observée par les techniques d’imagerie fonctionnelle. L’hyper-éveil empêcherait les personnes concernées de basculer vers le sommeil.

Leur maintien en éveil est en outre favorisé par une diminution de l’activité des neurones GABAergiques (inhibiteurs de l’activité cérébrale) et une activation des neurones glutamatergiques impliqués dans le sommeil. Enfin, le sommeil lent des patients atteints d’insomnie reste essentiellement au stade léger, et non profond, ce qui favorise les éveils nocturnes. La fragmentation du sommeil, associée à un temps court passé en sommeil profond et à une instabilité du sommeil paradoxal, explique la fatigue physique et l’épuisement émotionnel qu’ils ressentent.

Pour en savoir plus sur les mécanismes du sommeil

Les conséquences de l’insomnie

L’insomnie entraîne une irritabilité, des difficultés de concentration, mais aussi de la fatigue ou une somnolence diurne qui ont des conséquences importantes à titre individuel et collectif (absence au travail, risque d’accident…). Le coût social est important avec de l’absentéisme ou encore des accidents de la route ou des accidents de travail. De nombreuses études ont décrit l’impact à long terme du manque de sommeil sur l’état de santé : au-delà d’une dégradation de la qualité de vie, il aggrave les symptômes de maladies somatiques ou psychiatriques telles que les douleurs chroniques, le diabète de type 2 ou la dépression. Il est par ailleurs associé à une augmentation du risque d’accident cardiovasculaire, d’obésité, d’hypertension, de maladies psychiatriques.

Qualité de vie dégradée : Fatigue, Somnolence, Irritabilité, Difficulté de concentration
Aggravation de maladies associées : Douleurs, Hypertension, Dépression…
Absences au travail au moins une fois dans l’année  8 % des salariés
La fatigue induite augmente le risque X 8 sur la route X 4,5 au travail
Les conséquences de l’insomnie – Source : Institut national du sommeil et de la vigilance

Une plainte subjective à objectiver

Le diagnostic de l’insomnie se fonde essentiellement sur la plainte du patient, à partir d’un interrogatoire médical. Un agenda du sommeil tenu durant 2 à 4 semaines peut aider à mieux cerner les conditions de survenue, la fréquence et la sévérité des épisodes, ainsi que leurs conséquences physiques, comportementales et sociales. Les examens spécifiques, comme la polysomnographie, ne sont généralement pas utiles pour le diagnostic d’insomnie chronique. Cependant, ils peuvent aider à identifier d’autres causes de dégradation de la qualité du sommeil qui devront alors faire l’objet d’un traitement spécifique : syndrome des jambes sans repos, apnée obstructive du sommeil… 

L’examen clinique, l’agenda du sommeil et d’éventuels examens complémentaires permettent ainsi de différencier : 

  • l’insomnie sans comorbidité (anciennement définie comme « primaire »), qui fait intervenir avec plus ou moins d’importance des facteurs liés au stress (difficultés de vie) et un conditionnement (angoisse du sommeil, activité mentale exacerbée au lit…) impliqué dans la chronicisation du trouble.
  • les insomnies avec comorbidité (anciennement « secondaires ») qui peuvent être liées à une pathologie ou à la consommation de substances (médicaments, drogues…) qui favorisent la fragmentation du sommeil.

Des comportements à risque d’insomnie

Nous ne sommes pas tous égaux face au risque d’insomnie, mais à risque égal, certains comportements adoptés en soirée réduisent la qualité du sommeil : un dîner trop copieux, la consommation de caféine, d’alcool ou de tabac dans les heures précédant le coucher, la pratique d’une activité sportive tardive, une chambre surchauffée ou bruyante… 

Les soirées passées devant un écran (jeu vidéo, internet, réseaux sociaux…) sont délétères à deux titres : la lumière bleue des écrans perturbe la sécrétion normale de mélatonine et dérègle notre horloge biologique, elle-même impliquée dans la régulation du sommeil. Par ailleurs, la stimulation cérébrale et émotionnelle liée aux activités sociales ou ludiques sur écran, favorise l’hyper-éveil et va donc à l’encontre du processus d’endormissement. Ainsi, les spécialistes préconisent un « couvre-feu digital » une heure avant d’aller au lit et jusqu’au lendemain matin.

Enfin, la qualité du sommeil des insomniaques, déjà médiocre, est encore perturbée par l’irrégularité des heures de coucher et surtout de lever, par le temps passé au lit ou même dans la chambre pour d’autres activités que le sommeil (lecture, télévision...), par les siestes qui entrecoupent la journée, le manque d’activité physique et d’exposition à la lumière naturelle. 


Privilégier la prise en charge non médicamenteuse

La première étape de la prise en charge des insomnies consiste à traiter les maladies qui peuvent perturber le sommeil, corriger toutes les mauvaises habitudes et adopter un comportement qui favorise l’endormissement et la continuité du sommeil, en journée (activité physique, exposition à la lumière) comme le soir (« couvre-feu digital »). Il est également important de mettre en place un « rituel » constant et régulier autour du coucher pour retrouver progressivement un sommeil normal. Pour certains patients, des approches douces (relaxation, phytothérapie, sophrologie…) peuvent être des aides complémentaires. 

Cette première étape constitue un prérequis pour améliorer la qualité de sommeil, avant d’envisager une prise en charge médicale de l’insomnie. 

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)

Lorsqu’une prise en charge médicale s’avère nécessaire, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) doivent être privilégiées. Elles sont décrites comme la seule méthode qui permet de traiter l’insomnie, notamment sur la durée. Elles peuvent en outre favoriser le sevrage des personnes qui sont devenues dépendantes aux somnifères.

Le principe des TCC est de remplacer les comportements inadaptés et les croyances erronées sur le sommeil par d’autres plus appropriés. Concrètement, elles reposent sur plusieurs séances au cours desquelles les principaux déterminants du rythme éveil/sommeil, l’hygiène du sommeil, l’appréhension de l’insomnie ou encore l’angoisse du lit sont abordés avec un thérapeute. Des séances de TCC sont proposées à l’hôpital, notamment dans des services spécialisés dans la prise en charge des troubles du sommeil, ou en ville avec des psychologues formés.

Malgré leur efficacité largement reconnue, les TCC sont encore très peu développées en France, notamment parce qu’elles ne sont pas prises en charge par l’assurance maladie. Des TCC automatisées sont disponibles en ligne, surtout en langue anglaise. Un programme en français a néanmoins été développé par le centre du sommeil de Montpellier (Thérasomnia, sur abonnement payant). Il comprend des séances d’éducation thérapeutique en ligne et des entretiens téléphoniques individuels avec des psychologues formés à la TCC.

Les approches médicamenteuses

Parallèlement, des hypnotiques (ou somnifères) peuvent être utilisés par périodes courtes (traitement de 2–3 semaines) ou ponctuellement (2–3 jours dans la semaine au maximum). Si ces médicaments sont utiles en prise ponctuelle pour traiter les insomnies occasionnelles, ils ne peuvent constituer le traitement d’une insomnie chronique pour laquelle l’approche comportementale est toujours à privilégier. 

Selon le patient et les spécificités de son insomnie, des benzodiazépines et des anxiolytiques, des antihistaminiques ou encore des hypnotiques de nouvelle génération peuvent être prescrits. Toutefois, ces médicaments ne sont pas efficaces chez tous les patients et présentent tous des effets indésirables (pertes d’équilibres, troubles de mémoire, problèmes de vigilance…). Afin d’éviter l’accoutumance psychologique ou la dépendance physiologique, ils ne doivent pas être utilisés de manière chronique. Dans certains cas, les antidépresseurs sédatifs sont efficaces et ne produisent pas de dépendance. 

La compréhension des différents mécanismes liés à l’endormissement et au maintien du sommeil a permis d’ouvrir de nouvelles approches thérapeutiques ces dernières années. Plusieurs molécules récemment commercialisées en France (suvorexant, almorexant, daridorexant) inhibent la voie de l’hypocrétine/orexine, impliquée dans le maintien de l’éveil. Contrairement aux somnifères classiques, ces derniers sembleraient ne pas produire de dépendance et présenter moins d’effets indésirables.

Lorsque les troubles du sommeil dépendent d’une dérégulation du rythme circadien (décalage horaire ou trouble du rythme, personnes aveugles privés de la perception lumineuse), la prescription de mélatonine peut être utilisée comme synchroniseur de l’horloge biologique. Au-delà de son rôle dans la régulation de l’horloge biologique, cette molécule semble en outre avoir une action soporifique qui facilite le sommeil, bien qu’elle ne soit pas un somnifère.

Les enjeux de la recherche

Mieux comprendre les mécanismes de la maladie

Les mécanismes de l’insomnie chronique restent à l’étude. L’hyper-éveil serait dû à une disparition des fluctuations moléculaires responsables de l’alternance normale veille / sommeil, elle-même causée par une hyperactivation de plusieurs régions du cerveau (locus coeruleus et structures limbiques notamment, comprenant l’hypothalamus, l’amygdale ou encore l’hippocampe). L’ensemble de ces anomalies est associé à une fragmentation du sommeil paradoxal.

Ces dysfonctionnements seraient également responsables d’un dérèglement des circuits neuronaux de l’émotion, qui entraîne une altération de la capacité des neurones à créer des connexions entre eux (déficit de plasticité synaptique) pendant le sommeil et une accumulation – nuit après nuit – de difficultés à traiter les émotions (détresse émotionnelle) qui favoriserait la chronicisation. 

En l’absence de neurotransmetteurs ou d’autres molécules endogènes spécifiquement responsables de l’insomnie, il semble de plus en plus probable que l’insomnie soit multiforme : il faudrait apprendre à en discriminer les différents types pour les étudier individuellement. Des chercheurs s’intéressent par exemple aux déterminants des relations entre insomnie et troubles anxiodépressifs. D’autres études portent sur les liens entre ce trouble du sommeil et la rhinite allergique, la mucoviscidose ou d’autres maladies encore... L’imagerie cérébrale fonctionnelle et les big data pourront apporter une meilleure connaissance fondamentale sur ces liens et leurs caractéristiques. 

Une difficulté majeure réside dans l’absence d’un modèle animal qui permettrait de décrypter les mécanismes de l’insomnie et d’identifier des cibles spécifiques, pour le développement de traitements efficaces et mieux tolérées que ceux qui sont actuellement disponibles. L’étude du sommeil chez certaines espèces permet toutefois de repérer d’éventuels mécanismes clés transposables à l’homme. Chez la souris, un modèle de stress prénatal ou précoce mime le risque élevé d’insomnie après un traumatisme dans l’enfance : il est utilisé pour comprendre le développement de la vulnérabilité vis-à-vis de l’insomnie. La mouche drosophile sert aussi utilisée aux recherches conduites dans ce domaine. Malgré son éloignement avec l’humain, elle possède de nombreuses similitudes avec les vertébrés. Et comme elle présente un nombre de neurones et de gènes bien inférieurs à notre espèce humaine, elle est plus facile à étudier.

Proposer des traitements plus spécifiques

Face à la forte prévalence de l’insomnie, les recherches pharmacologiques se poursuivent afin de développer des molécules qui agiraient plus spécifiquement sur le sommeil, sans créer de dépendance. Celles qui ciblent la voie de l’hypocrétine/orexine ont donné des résultats très prometteurs pour traiter l’insomnie chronique sans comorbidité. D’autres médicaments de cette classe sont en développement, par exemple le seltorexant. Reste à étudier leur utilisation dans les insomnies avec comorbidités.

Une autre voie repose sur l’étude de la mélanopsine rétinienne. Cette molécule sensible à la lumière et présente dans la rétine contribue à réguler le sommeil et les émotions via l’exposition lumineuse. Les travaux en cours à son sujet permettent d’envisager le développement de traitements non médicamenteux, fondés sur de nouvelles approches de luminothérapie.

Dans le champ des approches non médicamenteuses, les thérapies cognitivo-comportementales classiques ont largement prouvé leur efficacité (sans qu’il soit utile d’y ajouter des séances de relaxation ou de méditation de pleine conscience) et constituent le traitement de première intention. Cependant, le manque de disponibilités de thérapeutes formés et le temps nécessaire à ces traitements motive les chercheurs, notamment au Centre du sommeil de l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris, à développer de nouvelles approches numériques automatisées, dans lesquelles les séances sont remplacées par des sessions d’éducation thérapeutique en ligne.

Parallèlement, l’utilisation du biofeedback ou neurofeedback constitue une piste de recherche clinique, notamment en cas d’échec de la TCC. Cette approche utilise l’électroencéphalographie (EEG) pour permettre au patient de suivre son activité cérébrale et d’apprendre progressivement à induire des ondes favorables à l’endormissement.

La stimulation magnétique transcrânienne (TMS), utilisée pour étudier les fonctions de différentes régions cérébrales au cours du sommeil « normal » et de celui de patients insomniaques, présente par ailleurs un potentiel thérapeutique. Déjà utilisée dans certaines pathologies (douleurs chroniques, épilepsie, dépression...), la TMS induit des modifications transitoires de l’activité électrique qui pourraient moduler l’éveil et le sommeil en agissant sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Des premiers essais cliniques ont montré sa capacité à induire les ondes lentes spécifiques de la première phase du sommeil. Elle pourrait constituer une approche complémentaire pour les insomnies chroniques sévères. 

Pour aller plus loin