Troubles évolutifs de mémoire : une appli mobile pour aider les médecins à les identifier

Parce que les outils classiques de dépistage des troubles cognitifs sont contraignants à utiliser en médecine générale, une équipe parisienne a développé un test plus simple et plus rapide à conduire : l’appli MemScreen aide les médecins à repérer les patients qui nécessitent une évaluation cognitive plus approfondie.

Si 25 à 50 % des personnes de plus de 65 ans se plaignent d’avoir une mauvaise mémoire, leurs troubles ne sont évidemment pas tous synonymes de maladie neurodégénérative. Face à ces plaintes, le médecin généraliste est en première ligne pour rassurer les patients qui doivent l’être et identifier ceux chez lesquels ces troubles pourraient être le signe avant-coureur d’une pathologie comme la maladie d’Alzheimer. Pour cela, il peut s’appuyer sur des tests de dépistage qui lui permettront de déterminer si une consultation spécialisée est nécessaire.

Mais en pratique, le dépistage n’est pas systématique et l’adressage en consultation mémoire ne repose pas toujours sur les résultats d’un test cognitif. En effet, les outils qui existent aujourd’hui présentent de nombreuses limites : le Mini Mental State Examination (MMSE), le plus diffusé dans la communauté médicale, le test de l’horloge ou encore le General Practitioner Assessment of Cognition (GP-Cog) sont souvent longs à réaliser, nécessitent une formation préalable et sont parfois sujets à interprétation. Forts de ce constat, Julien Dumurgier et Claire Paquet, neurologues et chercheurs au Centre de neurologie cognitive du groupe hospitalier Lariboisière – Fernand-Widal à Paris, ont souhaité mettre au point un test de détection des troubles cognitifs légers, plus simple et rapide à mener, qui conserverait toutefois des performances élevées.

Une appli mobile plus performante et rapide

Ils ont ainsi développé MemScreen, un test disponible sur smartphone. Pour le construire, « nous avons sélectionné les questions les plus pertinentes et discriminantes des tests cognitifs préexistants, décrit Julien Dumurgier. Nous avons aussi cherché la meilleure ergonomie possible afin qu’il puisse être utilisable auprès de tous les publics, y compris ceux qui sont très âgés ou peu familiers avec le numérique. » Le médecin explique le principe du test au patient et lui confie ensuite l’outil (un téléphone ou une tablette) pour le réaliser. L’application délivre le résultat sous la forme d’un score, ce qui évite les erreurs d’interprétation et permet d’avoir une homogénéité des résultats au sein d’une population.

Les chercheurs ont validé leur modèle sur deux populations complémentaires. La première est une grande cohorte britannique (Whitehall II) coordonnée par Archana Singh-Manoux, directrice de recherche Inserm. « Cette population tout venant, sans diagnostic de démence, est suivie depuis les années 1980 : on connaît donc très bien les antécédents et les facteurs de risque des individus qui la constituent. Elle est régulièrement invitée à réaliser un ensemble de tests, dont des tests cognitifs classiques validés comme le MMSE. Grâce à cette cohorte, nous avons pu caractériser les performances de notre application en population générale, en comparaison des tests de référence », explique le chercheur. La seconde population est une cohorte de patients français qui consultent en Centre Mémoire de ressource de recherche (CMRR) : « Il s’agit de patients avec des plaintes cognitives qui ont déjà été identifiées et explorées : cela nous a permis d’apprécier, a posteriori, dans quelle mesure notre test aurait permis de repérer ceux qui ont des troubles cognitifs légers de type amnésique, c’est-à-dire ceux les plus à risque d’évoluer vers une maladie d’Alzheimer », précise-t-il.

Dans la cohorte Whitehall II, MemScreen a permis de mieux discriminer que les tests traditionnels les patients qui présentent des troubles cognitifs légers de ceux qui n’en ont pas. Dans la seconde population, qui consulte pour des plaintes cognitives, MemScreen a détecté avec une grande sensibilité les patients qui étaient effectivement atteints de troubles cognitifs de type amnésique. De plus, ce travail de validation a montré que le temps médian pour réaliser le test est de 4 minutes et 20 secondes : « une durée compatible avec celle des consultations en médecine générale, ce qui rend son utilisation en routine envisageable », indique Julien Dumurgier.

Un outil de dépistage, pas de diagnostic

MemScreen n’est pas destiné à être utilisé comme un autotest par des patients non accompagnés, et ce n’est pas non plus un outil diagnostique de la maladie d’Alzheimer : « L’objectif de cette appli est d’aider au repérage et à l’orientation des patients qui nécessitent une évaluation plus approfondie en consultation mémoire. Mais un score plus bas que la normale ne veut pas forcément dire que le patient souffre d’une démence : les plaintes cognitives peuvent être causées par bien d’autres pathologies non évolutives, comme la dépression, les troubles du sommeil, la consommation excessive d’alcool... C’est pour cela que le test doit s’inscrire dans une évaluation clinique globale, réalisé par un soignant », précise le neurologue. Cela est d’autant plus important que, comme les autres tests de dépistage, MemScreen peut conduire à des faux positifs : un score indiquant l’existence de troubles de mémoire évolutifs peut être obtenu chez une personne qui, après évaluation complète, s’avère ne pas présenter de tels troubles.

MemScreen existe déjà en version anglaise et française, et peut être téléchargé gratuitement sur smartphone ou tablette. Déjà utilisée par plus de 1 200 médecins, l’appli pourrait avoir un intérêt à être diffusée parmi la communauté médicale. Sa simplicité et sa rapidité d’utilisation pourraient aider les soignants à l’intégrer dans leur pratique, comme une aide à la détection précoce de troubles cognitifs chez des patients qui consultent pour une plainte mnésique. Alors que de nouveaux médicaments qui ciblent les causes de la maladie d’Alzheimer (comme les immunothérapies dirigées contre le peptide bêta-amyloïde) sont attendus, MemScreen pourrait permettre de proposer plus rapidement une prise en charge adaptée en cas de troubles avérés.


Julien Dumurgier est neurologue, professeur de neurologie à l’Université Paris-Cité et chercheur dans l’équipe EpiAgeing dirigée par Archana Singh-Manoux au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS, unité 1153 Inserm/INRAE/Université Paris-Cité/Université Sorbonne Paris Nord).


Source : J Dumurgier et coll. MemScreen : A smartphone application for detection of mild cognitive impairment : A validation study : Smartphone App for MCI Detection. J Prev Alzheimers Dis, 28 janvier 2025 ; doi :10.1016/j.tjpad.2025.100077

Autrice : C. G.

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