Quand la recherche nous aide à être bien dans notre assiette !

Les microbes ne sont pas toujours nos ennemis… et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne notre microbiote intestinal ! Cet acteur essentiel à notre bonne santé au sens large, et pas seulement intestinale, est largement influencé par notre mode de vie et notre alimentation. Bien manger, c’est bien le nourrir, mais il n’est pas toujours facile de faire les bons choix en matière de nutrition… Microbes à cajoler, alimentation équilibrée, NutriScore : la recherche passe à table !

Cet article est la retranscription de l’émission « Eurêka » diffusée sur l’antenne de RCF Alsace le 6 mars 2025, en partenariat avec la Délégation régionale Inserm Est. Cet épisode est réécoutable en cliquant ici.

Si je vous dis que vos intestins jouent un rôle essentiel dans votre digestion, j’imagine que vous ne tombez pas de votre chaise. Si j’ajoute que ces mêmes intestins ont une importance capitale dans notre système immunitaire, votre curiosité est peut-être piquée. Mais si en plus j’affirme que notre flore intestinale n’est pas à négliger dans l’apparition de maladies métaboliques, inflammatoires et même neurologiques, alors là vous vous demandez quel lien il peut bien y avoir entre notre côlon et notre caboche. Promis, je ne vous raconte pas de salades : il va aujourd’hui être question d’alimentation et de microbiote intestinal.

Je précise « intestinal » car nous avons d’autres microbiotes : au niveau de la peau, de la bouche, du vagin ou même des poumons. Mais d’abord, c’est quoi un microbiote ? Ce terme désigne l’ensemble des micro-organismes, comme les bactéries, les virus ou encore les champignons, qui vivent dans un environnement donné et notamment à la surface de nos tissus. Chez l’humain, le microbiote intestinal est le plus abondant, avec plusieurs milliers de milliards de microorganismes dans l’intestin grêle et le côlon. Pour vous donner une idée, il y a autant de ces microorganismes que de cellules dans notre corps, de sorte que leur poids total avoisine les 2 kilos ! Pour autant, pas question de s’en délester : ces microbes vivent en symbiose avec notre organisme et nous veulent du bien.

Des microbes en symbiose avec notre organisme

Pour que notre corps fonctionne, les aliments ingérés sont transformés dans notre intestin en nutriments qui sont absorbés. Mais il y a certains composés dont nous humains ne pouvons rien faire, notamment les fibres, et qui échappent donc à la digestion. Ils vont alors dévaler notre système digestif et arriver jusqu’au côlon, où ils nourriront littéralement ces milliards d’ouvriers microscopiques qui constituent notre microbiote intestinal, qui produiront en retour des composés à notre service.

Autre rôle majeur du microbiote intestinal : il nous protège contre des pathogènes et est en interaction avec notre système immunitaire. La recherche tend à montrer que la dégradation du microbiote aurait une influence directe sur la susceptibilité aux maladies infectieuses, comme la grippe.

Enfin, on sait désormais qu’il existe un dialogue direct entre les intestins et le cerveau. Des études ont suggéré un lien entre des déséquilibres importants du microbiote intestinal et la sévérité des symptômes dans la maladie de Parkinson, mais aussi l’inflammation cérébrale observée dans la maladie d’Alzheimer. Lorsque le microbiote est altéré, la production d’hormones peut aussi se voir perturbée, favorisant ainsi des troubles de l’humeur ou la survenue d’anxiété voire de dépression. Ces liens avec la santé mentale sont de mieux en mieux documentés.

Comme l’empreinte digitale, le microbiote est propre à chaque individu : il est unique sur le plan qualitatif et quantitatif. Parmi les 160 espèces différentes de bactéries que compte en moyenne le microbiote d’un individu sain, seule la moitié est retrouvée d’un individu à l’autre. Il y aurait cependant une petite vingtaine d’espèces présentes chez tous les humains, en charge des fonctions essentielles du microbiote.

Il n’y a donc pas de microbiote « normal » mais un constat est invariable : plus il est riche et varié, meilleure est sa santé… et donc la nôtre. En somme, plus y’a de microbes, et moins y’a de pépins ! Un déséquilibre durable du microbiote nous rend vulnérable et peut favoriser l’apparition de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, de cancer, de maladies métaboliques comme le diabète ou être propice à l’obésité. Certains patients obèses présentent une perte de diversité du microbiote, avec trop de microorganismes délétères ou trop peu de microorganismes bénéfiques.

On mesure donc l’importance capitale de notre microbiote pour notre santé au sens large, et pas seulement intestinale. Or cet acteur essentiel est influencé par nos modes de vie et notre environnement, à commencer évidemment par notre alimentation. Au cours d’une vie, nous ingérons environ 30 tonnes d’aliments et 50 000 L de boissons : c’est dire l’importance du « bien manger » !

Additifs et ultra-transformation des denrées : des effets scrutés à la loupe

Tout proche de Paris, à Bobigny, l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (affiliée à l’Inserm, à Inrae, au Cnam, à l’Université Sorbonne Paris Nord et à l’Université Paris-Cité) est la seule équipe de recherche française totalement dédiée à la nutrition-santé, et une des rares au niveau international. Mélanie Deschasaux-Tanguy est chercheuse Inserm au sein de ce laboratoire ; elle participe à l’édition 2025 de « A votre santé », ce programme d’événements proposés par l’Inserm et ses partenaires dans toute l’Alsace en mars.

Mélanie est épidémiologiste de la nutrition ; après une thèse sur la vitamine D et le cancer, elle a orienté ses recherches sur les liens entre nutrition et santé de manière générale, et s’intéresse notamment au microbiote intestinal – sur lequel vous êtes désormais incollables. Avec ses 80 collègues qui composent l’équipe, plusieurs thématiques sont actuellement scrutées avec minutie.

A commencer par les additifs alimentaires, dont plus de 300 sont autorisés sur le marché européen et présents dans plus de la moitié des aliments industriels. Ces additifs sont ajoutés pour stabiliser les produits et allonger leur durée de vie, ou bien pour ajouter des propriétés au produit. Ainsi, les édulcorants donnent un goût sucré, les émulsifiants apportent de la texture, les exhausteurs de goût donnent un coup de fouet aux saveurs, les colorants dotent les aliments de couleurs attractives, etc.

La plupart des additifs n’a probablement pas d’impact sur la santé humaine. D’ailleurs, pour être autorisés, ils doivent bien sûr passer des évaluations toxicologiques auprès des autorités sanitaires. Toutefois, de plus en plus d’études suggèrent des effets adverses, notamment au niveau du microbiote. Apparaît le besoin de réévaluer certains additifs controversés, comme l’aspartame récemment classé comme potentiellement cancérigène. Par ailleurs, nous disposons de peu d’informations sur ce qu’on appelle les « effets cocktails », c’est-à-dire lorsqu’on en mélange plusieurs dans notre régime alimentaire… ce qui est de plus en plus le cas.

Car la problématique des additifs vient surtout de la problématique des aliments ultra-transformés, qui occupe également nombre de chercheurs de l’équipe.

Les aliments ultra-transformés sont ceux ayant subi d’intenses procédés de transformation, modifiant fortement les denrées alimentaires de base et contenant nombre d’additifs. Le plus souvent ces produits sont plus riches en sel, gras ou sucre et pauvres en fibres, vitamines et minéraux – une mauvaise nouvelle pour notre microbiote ! Pour autant, tous les produits industriels ne sont pas ultra-transformés. D’ailleurs, la transformation des aliments par des procédés industriels a permis des progrès significatifs, comme la diminution du risque d’intoxication alimentaire, la production de denrées à grande échelle, des tarifs abordables… Ce n’est donc pas leur transformation qui pose problème, mais l’ultra-transformation ! Or la part des aliments ultra-transformés dans la ration énergétique quotidienne des Français s’élève à environ 30% (c’est quasiment 60% aux États-Unis).

En moins de 10 ans, plus de 80 études scientifiques ont observé des liens entre consommation d’aliments ultra-transformés et risque accru de diabète, de maladies cardiaques et vasculaires, de surpoids et d’obésité, ou encore de cancers. Toutes les analyses sont concordantes et montrent des conséquences délétères pour la santé en cas de consommation trop importante de ces aliments ultra-transformés. 

De tels travaux de recherche de grande ampleur ont, en partie, été rendus possible grâce à la cohorte NutriNet-Santé, dont Mélanie Deschasaux-Tanguy supervise le volet sur le microbiote. Lancée en 2009, cette cohorte, c’est-à-dire ce groupe de volontaires engagés dans une étude épidémiologique pendant plusieurs années, est la première au monde à collecter ses données uniquement via internet. En effet, ses 179 000 participants répondent régulièrement à des questionnaires sur le contenu de leur assiette, le contexte de la prise de repas, leur mode de vie et leur état de santé. Merci à ces Nutrinautes qui contribuent à faire avancer la recherche scientifique !

De nombreuses questions restent à élucider avant de formuler de nouvelles recommandations en matière de nutrition-santé. Il y a aussi des pratiques pour lesquelles nous n’avons pas encore assez de recul, comme la consommation d’aliments bio, la pratique du jeûne, l’émergence des viandes de synthèse… Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’aliments ni de régimes miracles. Par ailleurs, la prise de compléments alimentaires ou de probiotiques, si elle peut être indiquée dans certains cas, ne se substituera jamais à une alimentation variée et équilibrée.

Faire que le choix le plus sain soit le plus simple !

Précisons enfin qu’il est bien question ici d’alimentation et non d’aliments, car ceux-ci ne sont jamais consommés seuls, mais combinés ; un aliment n’est pas bon ou mauvais pour la santé dans l’absolu. 

La bonne nouvelle, c’est que l’alimentation est un facteur de risque modifiable ! Mais il n’est pas toujours facile d’identifier les produits plus favorables à notre santé. Bien sûr, consommer des fruits et légumes est un incontournable, et les messages de prévention nous invitant à en manger au moins cinq par jour ont ancré durablement cette habitude. Mais vous avez sans doute remarqué depuis 2017 l’apparition d’un petit logo coloré sur les emballages alimentaires ? J’ai nommé : le NutriScore.

Cet étiquetage classe les denrées selon leur qualité nutritionnelle : le vert indique une meilleure qualité, tandis que le rouge signale des produits à consommer avec modération. Il ne s’agit pas d’interdits mais d’incitations à consommer plus d’aliments bénéfiques, et plus ponctuellement ceux moins bien classés. En fait, ce logo traduit visuellement les informations qui figurent obligatoirement sur les emballages, généralement au dos. Notons qu’une évolution du logo est à l’étude pour indiquer l’ultra-transformation des aliments le cas échéant, et ainsi remédier à cette limite.

Le NutriScore est un bon exemple des apports de la science dans la mise en place de politiques publiques. Car figurez-vous que ce dispositif est le fruit de décennies de recherche en nutrition-santé menée par l’équipe de Mathilde Touvier, dont Mélanie Deschasaux-Tanguy fait partie ! Elle a d’ailleurs contribué aux nombreux travaux ayant permis de valider scientifiquement cet outil d’aide à la décision.

Car le NutriScore a un objectif double. D’abord, aider le consommateur dans son choix entre des produits différents mais consommés au même moment : muesli ou cornflakes pour le petit déjeuner par exemple, alors que la comparaison a moins de sens entre un fromage et un jus d’orange. En outre, il incite les industriels à améliorer la qualité de leurs produits. Et bien que le NutriScore ne soit pas obligatoire, entreprises et distributeurs jouent le jeu puisqu’il est désormais apposé sur 60% des produits sur le marché français. Depuis, le NutriScore s’est exporté dans 6 pays voisins. Les études montrent une consommation en hausse des produits classés A et B. Car finalement, le choix le plus sain devrait être le plus simple !