Laurence Vico-Pouget : le spatial au service du squelette

Lorsque les astronautes reviennent d’un vol, certains ont perdu jusqu’à 20 % de leur masse osseuse. On sait que la faible gravité qui s’exerce dans la Station spatiale internationale (ISS) en est la cause. Mais on ignore encore comment ce processus de résorption de l’os se met en place. C’est ce qu’étudie Laurence Vico-Pouget, directrice de recherche Inserm à Saint-Étienne. Avec un intérêt pour la médecine sur Terre : mieux prévenir la perte osseuse pour éviter l’ostéoporose et les fractures associées.

Un article à retrouver dans le n°64 du magazine de l’Inserm

Laurence Vico-Pouget © Inserm/François Guénet
Laurence Vico-Pouget est directrice de recherche Inserm au laboratoire Sainbiose à Saint-Étienne © Inserm/François Guénet

Quelles sont les conséquences de la microgravité sur le corps humain ?

Laurence Vico-Pouget : Tout le corps et les os en particulier sont adaptés pour résister à la force de gravité qui l’attire vers le sol. Mais dans la Station spatiale internationale, cette gravité est bien moindre. Conséquence, la contrainte mécanique qui s’applique sur l’os est fortement diminuée. Or, le squelette possède une forte capacité d’adaptation : s’il n’est pas sollicité mécaniquement, il se raréfie. C’est pourquoi les astronautes perdent généralement de la masse au niveau d’os porteurs comme le tibia. À l’inverse, certains sports à impact comme le football renforcent le squelette. Mais tout est une question de dosage : trop de chocs peuvent provoquer une accumulation de microfissures et une fracture de fatigue.

Comment étudiez-vous ce phénomène ?

L. V.-P. : Nous avons une cohorte d’astronautes que nous surveillons pendant l’année et demie qui suit leurs vols d’une durée de six mois. Grâce à ce suivi, nous avons été les premiers à montrer que les cosmonautes ne récupèrent pas la masse d’os perdue au niveau des membres inférieurs, et que les os des membres supérieurs, non affectés immédiatement après le retour sur Terre, se détériorent progressivement, sans que l’on ne sache pourquoi. Nous pouvons comparer cela à un phénomène de vieillissement accéléré. Le problème, c’est que certaines détériorations pourraient ne pas être réversibles.

La microgravité peut-elle être mimée sur Terre ?

L. V‑P. : Oui, nous avons développé des outils pour la reproduire. À la clinique spatiale de Toulouse (Medes), nous avons mené une étude sur vingt-quatre volontaires. Ces derniers sont restés alités pendant deux mois avec la tête légèrement plus basse que les pieds, une position qui mime certains effets des vols spatiaux. L’objectif était de mesurer les effets de cette position sur la santé de ces volontaires. Puis nous avons employé une technique qui reproduit encore mieux l’impesanteur : l’immersion sèche. Il s’agit d’installer un volontaire allongé sur une toile, elle-même posée sur une baignoire remplie d’eau tiède. Le corps se retrouve en flottaison avec absence complète d’appui, ce qui est comparable à une situation de microgravité, avec une inactivité physique. Nous avons constaté un début de résorption osseuse chez les volontaires dès le premier jour ! Mais ce n’est pas tout. Nous avons aussi observé une rigidification des parois artérielles, une augmentation de l’inflammation, et un début d’insulinorésistance [qui conduit au développement du diabète de type 2, ndlr.].

Laurence Vico-Pouget © Inserm/François Guénet
La chercheuse observe à l’écran un échantillon osseux au microscope confocal (en vert : un os bien minéralisé ; en bleu et noir : un os jeune pas ou peu minéralisé ; en rouge : les noyaux de cellules osseuses) © Inserm/François Guénet

En quoi consistent vos recherches pour empêcher la perte osseuse ?

L. V.-P. : Nous sommes actuellement en train de tester l’exact inverse de la microgravité : l’hyper-gravité. Pour cela, nous avons demandé aux vingt-quatre volontaires alités de passer une demi-heure par jour dans une centrifugeuse adaptée pour l’humain. À l’intérieur de cette machine, ils devaient réaliser des exercices sur vélo statique. Le but était d’accentuer la contrainte mécanique sur le corps, afin de voir si c’est efficace pour restaurer l’os. À terme, nous aimerions déterminer la durée et la fréquence de ces exercices, ainsi que l’intensité de la gravité pour optimiser la réparation du squelette. À l’avenir, cet outil pourrait être utilisé pour réparer le squelette des patients atteints d’ostéoporose.

Vous suspectez aussi l’implication d’une mauvaise vascularisation…

L. V.-P. : En effet, en l’absence de gravité terrestre, le flux sanguin ne circule plus normalement et ne parviendrait plus correctement jusqu’à l’intérieur de l’os. Nous l’avons déjà démontré sur le rongeur. Nous sommes maintenant en train de valider un outil qui fonctionne à l’aide d’ultrasons pour visualiser non seulement les changements de structure osseuse chez l’humain, mais aussi la vascularisation interne des os, avec des collègues spécialisés en ultrasons aux Pays-Bas, et en système cardiovasculaire à Angers. Nous devrions utiliser cet appareil lors du premier vol de l’astronaute française Sophie Adenot, en 2026. Si elle est validée, cette méthode non invasive pourra être employée pour la médecine sur Terre. Sont concernés les patients qui souffrent de problèmes vasculaires aux jambes, car on pense que ces troubles peuvent entraîner une perte osseuse. Elle pourra également être utile aux patients qui présentent des maladies ostéoarticulaires associées à des problèmes de flux sanguin. En fait, les astronautes nous offrent un modèle unique d’exploration du vieillissement car, avec l’âge, les os se fragilisent, tout comme après un voyage dans l’espace.

Comment le spatial peut-il faire avancer la médecine sur Terre au-delà des maladies du squelette ?

L. V‑P. : Globalement, les conditions spatiales font prendre conscience des effets néfastes de la sédentarité et du manque d’exercice physique sur le corps humain. Elles permettent de déterminer des marqueurs prédictifs de maladies chroniques comme le diabète de type 2, l’obésité ou le syndrome métabolique. Une sédentarité excessive et prolongée peut entraîner une résistance à l’insuline, un dysfonctionnement vasculaire, une diminution de la capacité cardiorespiratoire, ainsi qu’une perte osseuse et musculaire. Elle peut aussi provoquer une augmentation de la masse grasse totale, des concentrations de lipides dans le sang et de l’inflammation. La médecine spatiale sert donc directement la médecine terrestre.


Laurence Vico-Pouget est directrice de recherche Inserm au laboratoire Sainbiose à Saint-Étienne (unité 1059 Inserm/Mines Saint-Étienne/Université Jean-Monnet – Saint-Étienne). Le Centre national d’études spatiales (CNES) finance tous les travaux effectués à Sainbiose qui sont liés à la recherche spatiale.


Propos recueillis par L. A.

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