Les populations socialement désavantagées respirent-elles un air plus pollué ?

Selon une vaste étude menée sur huit pays européens, les habitants des quartiers les plus touchés par le chômage sont davantage exposés à la pollution atmosphérique. Mais cette exposition accrue serait davantage liée à la configuration urbaine des villes étudiées qu’au niveau socioéconomique de leurs habitants. Décryptage.

Les populations socialement désavantagées souffrent davantage de problèmes de santé respiratoires et vasculaires. Or ces derniers peuvent être causés ou accentués par l’exposition à la pollution atmosphérique. D’où la question : existe-t-il un lien entre niveau socioéconomique (NSE) et exposition à un air pollué ? En Europe, les quelques études sur le sujet sont contradictoires ; de plus, leurs méthodes pour évaluer NSE et exposition aux polluants atmosphériques diffèrent, ce qui les rend difficilement comparables. Grâce à une vaste étude conduite sur 5 692 citadins de 16 grandes villes d’Europe occidentale, une équipe européenne* a tenté d’y voir plus clair... 

Près de 5 700 participants, dans 16 villes européennes

« Pour chaque participant, nous avons utilisé les mêmes critères pour évaluer leur NSE : deux critères individuels – niveau d’études et catégorie socioprofessionnelle – et le taux de chômage de leur quartier de résidence, indique Sofia Temam, doctorante à l’Inserm, première auteure de l’étude. Et pour chacun, l’exposition annuelle au dioxyde d’azote (NO2) – un polluant émis principalement par le trafic routier – a été estimée en fonction de l’adresse de leur domicile dans le cadre du projet européen ESCAPE ».

Résultat principal : dans 11 des 16 villes étudiées, les chercheurs ont observé que les habitants des quartiers les plus touchés par le chômage étaient les plus exposés au NO2. Par exemple, dans les quatre métropoles françaises étudiées, les habitants de quartiers affichant un taux de chômage supérieur à 9,5% (valeur médiane) étaient exposés annuellement à 35 µg/m3 de NO2, contre seulement 27 µg/m3 dans les quartiers où le chômage était sous la barre des 9,5%.

Mais lorsqu’on ne retient que les critères individuels du NSE – niveau d’études et catégorie socioprofessionnelle – les résultats ne montrent pas d’association significative entre niveau socioéconomique individuel et exposition au NO2, dans la quasi-totalité des villes (14/16). Seules exceptions : Vérone et Lyon, où les citadins avec un niveau d’études bas étaient les moins exposés. 

Des résultats très hétérogènes 

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Principal enseignement de ces résultats : l’exposition au NO2 des citadins d’Europe occidentale semble davantage liée aux caractéristiques urbaines propres à leur ville et à ses quartiers qu’à leur NSE. « Mais d’autres études internationales à grande échelle seront nécessaires pour conclure », précise Sofia Temam. Il faudrait en outre améliorer encore l’évaluation du NSE, en intégrant par exemple les revenus des participants, mais aussi l’estimation de l’exposition au NO2, via des capteurs portés par les participants chez eux, dans les transports, au travail... ce qui pose toutefois des questions de coût. 

Et si jamais on parvient à conclure que les citadins européens à faible NSE ne sont pas plus exposés à la pollution de l’air, une autre piste est déjà explorée pour expliquer la fréquence plus élevée des problèmes cardiovasculaires et respiratoires observées dans cette population... Seraient-ils plus sensibles aux effets de la pollution atmosphérique en raison d’un moins bon état de santé général (tabagisme, alimentation, moindre accès aux soins...) ? Le débat n’est pas tranché ! 

Note

France (Inserm U1168 ; InVS ; Universités UVSQ, Paris-Sud, Grenoble ; CHU Montpellier, Grenoble) ; Espagne (CREAL ; HMMRI ; UPF ; CIBER) ; Suisse (STPH) ; Royaume-Uni (Imperial College ; Université de Bristol) ; Italie (Universités Turin, Vérone), Pays-Bas (IRAS ; Université d’Utrecht), Suède (Université d’Umeá), Allemagne (Université de Munich). 

Source

S. Temam et coll., Socioeconomic position and outdoor nitrogen dioxide (NO2) exposure in Western Europe : A multi-city analysis, Environment International, édition en ligne du 1er février 2017, http://dx.doi.org/10.1016/j.envint.2016.12.026