Polyhandicap : La prise en charge des adultes doit encore s’améliorer

Aujourd’hui, grâce à l’amélioration des soins médicaux, l’espérance de vie des personnes polyhandicapées atteint une quarantaine d’années. Les modalités d’accompagnement spécifiques doivent donc elles aussi s’adapter à ces adultes extrêmement dépendants. Un enjeu de santé majeur que l’Inserm aborde dans son expertise collective publiée en juin dernier et consacrée au polyhandicap.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°62

À la demande de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie de la Sécurité sociale, l’Inserm vient de réaliser un état des lieux des connaissances récentes de la recherche au sujet du polyhandicap. Fruit de plusieurs années de travail, il s’agit d’une démarche, novatrice et propre à l’Inserm, « d’évaluation et de synthèse des connaissances scientifiques existantes sur des thèmes de santé publique ». Le polyhandicap y est défini comme « les conséquences définitives d’une lésion survenue sur un cerveau en développement (durant la grossesse, l’accouchement, ou les premières années de vie) avec une déficience motrice sévère et une déficience mentale sévère à profonde, engendrant une restriction extrême de la communication, de l’autonomie et de la mobilité. » Souvent, des troubles visuels et auditifs l’accentuent. À l’âge adulte, les capacités motrices, entravées par les déformations articulaires, ainsi que les capacités cognitives, telles que l’attention, tendent à diminuer au fil des années.

Face à la pluralité des symptômes, la prise en charge médicale des adultes doit être pluridisciplinaire et adaptée à la personne, tout en prenant en compte le caractère évolutif du polyhandicap. « Ce suivi intègre, souvent, un médecin généraliste et différents spécialistes hospitaliers, en fonction des complications. Il peut s’agir de stomatologues, de pneumologues, ou encore de gynécologues. En revanche, les soignants qui interviennent le plus dans le quotidien des personnes polyhandicapées ne sont pas ces spécialistes », nuance Thierry Billette de Villemeur, neuropédiatre à Paris et professeur émérite à Sorbonne Université. En effet, à ces consultations spécialisées annuelles, idéalement, s’ajoute un suivi hebdomadaire en rééducation par les professionnels paramédicaux. Pour garantir la continuité de ce suivi médical, une « transition médicale » des services de pédiatrie vers les services adultes spécialisés est nécessaire. « Ce processus de transfert doit être amorcé, lorsque c’est possible, dès les 13 ou 14 ans du patient puisqu’il faut plusieurs mois pour identifier les spécialistes formés au polyhandicap et obtenir les consultations dans les services dédiés », indique le médecin.

De l’importance du cadre de vie

Outre cette continuité du suivi médical, le passage à l’âge adulte implique le choix d’un lieu de vie. En France, les adultes polyhandicapés peuvent vivre à domicile, chez leurs parents ou fratrie, ou, et c’est le plus fréquent, en établissement avec des retours plus ou moins réguliers en famille. Ceux qui nécessitent le plus de soins médicaux sont plutôt pris en charge à l’hôpital, en service conventionnel ou en soins de suite et de réadaptation. En dehors du milieu hospitalier, ils sont accueillis dans des structures dédiées aux handicaps comme les maisons d’accueil spécialisées. Mais, même dans les établissements dédiés, il arrive que les conditions de travail parfois dégradées des équipes provoquent leur épuisement et augmentent le risque de maltraitances involontaires.

A contrario, les activités de loisir favorisant le bien-être des personnes polyhandicapées doivent être encouragées. « Au sein des structures, les activités proposées sont diverses. Elles peuvent être artistiques – peinture, musique – ou sportives, par exemple, une sortie avec un vélo qui permet d’inclure une personne polyhandicapée dans une coque. Pour la réussite de ces activités, il est important qu’il y ait du personnel formé en nombre suffisant, le matériel adapté nécessaire, des outils de communication, ainsi que la prise en compte des préférences personnelles de l’individu accompagné », énumère Myriam Winance, chercheuse Inserm à Villejuif. Il est alors bénéfique que les équipes échangent avec les parents pour mieux connaître les goûts et les habitudes de l’adulte. « Le fait que l’équipe propose des activités permet d’atténuer l’impression de certains parents, d’être les seuls à proposer des activités à leur enfant », explique la sociologue. La création de ce lien de confiance offre à la personne polyhandicapée et à ses aidants familiaux, c’est-à-dire les adultes, proches ou membres de sa famille, qui s’en occupent, de trouver une certaine indépendance les uns vis-à-vis des autres.

En plus de cette éventuelle culpabilité et de la fatigue, d’autres obstacles compliquent le quotidien des aidants familiaux : la difficulté à coordonner le suivi médical pluridisciplinaire, le manque de places proposées en établissements spécialisés, ou encore l’importante charge administrative. Ils sont confrontés à des risques accrus de burn-out et de dépression. Par conséquent, l’évolution des modalités d’accompagnement des 63 000 adultes polyhandicapés en France devrait permettre de soulager davantage ces aidants.

Vie affective, intime et sexuelle

Par ailleurs, un autre aspect de la vie des adultes polyhandicapés est rarement évoqué : celui de l’existence possible d’une vie affective, intime et sexuelle. « Bien qu’il s’agisse d’un sujet complexe, il serait délétère d’ignorer ces questions », affirme Pierre Ancet, chercheur et coresponsable du pôle Éthique et vulnérabilités à Dijon. Selon ce philosophe, il ne faut négliger ni la vie sexuelle ni la vie affective, laquelle « correspond à un besoin d’affection et, parfois, de réassurance par un contact physique. Cette vie affective ne se limite pas à la sphère parentale mais inclut les manifestations d’intérêt adressées à des personnes de l’entourage », y compris les professionnels. Les adultes polyhandicapés peuvent aussi expérimenter une vie intime, d’ordre sexuelle ou seulement d’exploration sensorielle. Elle est difficile à définir puisque le polyhandicap induit une restriction de la communication, associée à une déficience intellectuelle. Face à ce constat, « les prises de décisions doivent être collégiales car interpréter un besoin sexuel ou affectif chez une personne polyhandicapée est loin d’être évident. Il y a un besoin réel des personnes qui travaillent dans le milieu médicosocial de bénéficier de formations sur ces questions qui sont délicates », précise Pierre Ancet. Sensibilisées, les équipes peuvent alors ajuster leur posture afin d’accompagner ces adultes au mieux et dans les limites de leur profession. Enfin, au-delà de leurs nombreuses restrictions, à la fois intellectuelle, motrice et sensorielle, « les personnes polyhandicapées, en manifestant leur capacité à aimer et à être aimées, manifestent leur appartenance à l’humanité », souligne l’expertise collective de l’Inserm. Un constat qui doit lui aussi rester au cœur de la prise en charge de ces adultes si vulnérables mais détenteurs des mêmes droits que tout un chacun.


Thierry Billette de Villemeur : Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

Myriam Winance : Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Cermes3, unité 988 Inserm/CNRS/Université Paris-Cité)

Pierre Ancet : Laboratoire interdisciplinaire de recherches Sociétés, sensibilités, soin (LIR3S, unité 7366 CNRS/Université de Bourgogne)


Autrice : M. S.

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