Pneumonie : De bonnes bactéries pour guérir des mauvaises ?

En étudiant le comportement du microbiote respiratoire des patients lors des pneumonies bactériennes, le projet Phenomenon espère identifier des bactéries ou des probiotiques qui seraient administrés aux malades pour améliorer leurs chances de guérison.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°60

Malgré des progrès dans la prise en charge des pneumonies bactériennes, environ un tiers des 500 000 cas traités annuellement à l’hôpital se conclut par un échec thérapeutique. L’introduction de nouveaux antibiotiques sera insuffisante pour contrer ce constat, quand on sait que les bactéries finissent tôt ou tard par devenir résistantes. C’est donc un tout autre paradigme qu’il faut aujourd’hui développer pour mieux guérir ces infections pulmonaires. Les chercheurs du projet Phenomenon, mis sur pied à l’été 2023, pensent que la réponse se trouve au niveau du microbiote respiratoire du patient. « On a longtemps cru que le poumon était stérile et que la pneumonie résultait de son infection par un pathogène isolé, explique Jean-François Timsit, l’un de ses fondateurs. On sait aujourd’hui que nos voies respiratoires sont colonisées par une communauté de bactéries dites “commensales”, qui vivent en harmonie et régulent la réponse immunitaire de nos voies aériennes. Lorsque l’on prend en charge une infection respiratoire, l’équilibre local est bouleversé. Nos recherches vont nous permettre de comprendre en quoi ces perturbations conduisent à un échec thérapeutique. »

Le germe ou l’antibiotique provoquent-ils la disparition d’une ou plusieurs bactéries commensales, bénéfiques au microbiote pulmonaire ? Perturbent-ils leur métabolisme ? Le projet va explorer ces différentes pistes avec deux objectifs principaux : identifier les modifications de composition ou de fonction du microbiote respiratoire qui sont associées à l’échec thérapeutique, et trouver de nouvelles pistes de traitement. « C’est un projet extrêmement ambitieux, dans un domaine peu connu, commente Jean-François Timsit. La difficulté va consister à faire le tri parmi les associations statistiques qui apparaîtront entre état du microbiote et état du patient, afin de trouver celles pour lesquelles il existe un lien de cause à effet. »

Les bactéries, potentiels traitements de l’infection ?

Dans le cadre du projet européen HAP2, Antoine Roquilly à Nantes a étudié l’expression génétique (microbiome) du microbiote respiratoire, et a montré que la diminution de l’abondance de quatre bactéries était associée aux pneumonies sévères nécessitant une assistance respiratoire. Dans le cadre de Phenomenon, il souhaite aller plus loin : « Maintenant que nous avons identifié ces espèces, nous allons étudier les fonctions métaboliques qu’elles assurent et la façon dont ces dernières fluctuent avec le devenir clinique du patient. » Il souhaite aussi réitérer les mêmes travaux pour les pneumonies moins sévères. Pour cela, il utilisera les prélèvements bactériens obtenus auprès de quatre cohortes de patients que Jean-François Timsit et son équipe constituent actuellement à Nantes et à Paris. « Chacune regroupe des profils différents : des pneumonies légères traitées en ambulatoire, des pneumonies acquises en ville nécessitant une hospitalisation, des pneumonies sévères acquises en ville et admises en réanimation, et des pneumonies nosocomiales sévères admises en réanimation. » Les prélèvements seront réalisés au niveau du pharynx et des bronches au début de la maladie, au cours du traitement antibiotique et en cas d’échec thérapeutique. Y seront analysées la diversité, la richesse et la fonction du microbiote, en comparaison de sujets sains. Par ailleurs, à partir de ces échantillons, l’analyse de l’expression des gènes et celle des petites molécules produites par le métabolisme local permettront d’établir quelles fonctions du microbiote et, secondairement, quelles fonctions du système immunitaire de l’hôte sont modifiées lors de l’infection.

« Dans une deuxième partie, nous validerons les résultats chez l’animal en étudiant plus précisément les espèces bactériennes ou les voies métaboliques qui auront été décrites comme intéressantes », explique Antoine Roquilly. À terme, ces travaux pourraient aboutir à de nouvelles perspectives thérapeutiques : s’il apparaît que la disparition d’une espèce bactérienne est néfaste pour la guérison, rétablir sa présence pourrait aider à combattre l’infection. L’idée d’injecter des bactéries à un patient pour soigner sa pneumonie pourrait alors devenir une réalité. « On peut imaginer que l’on testera le microbiote respiratoire des patients lors de leur hospitalisation pour pneumonie, avant d’initier l’antibiothérapie, propose Jean-François Timsit. Ceux qui auraient un microbiote à risque d’évolution défavorable pourraient recevoir des probiotiques, par aérosol ou par voie orale. Des personnes à risque de pneumonie, comme les sujets âgés, pourraient même se voir prescrire des probiotiques préventifs visant à stabiliser le microbiote respiratoire. »

Résistome : ami et ennemi

Les bonnes bactéries habituellement présentes dans le microbiote respiratoire des patients peuvent naturellement posséder des gènes de résistance aux antibiotiques : cet avantage leur permet de ne pas disparaître lors du traitement. Cependant, si ces gènes de résistance étaient transmis aux bactéries pathogènes, par un phénomène appelé « transfert de gènes », ces dernières seraient à leur tour résistantes aux antibiotiques… « Pour l’heure, il existe peu de données sur le sujet, mais la probabilité qu’un gène de résistance soit transféré d’une bactérie à l’autre est généralement d’autant plus élevée que les deux bactéries sont structurellement proches », explique Étienne Ruppé, lui aussi chercheur au sein de l’unité Inserm Infection, antimicrobiens, modélisation, évolution. À partir des prélèvements issus des différentes cohortes, le scientifique caractérise l’ensemble des gènes de résistance (ou résistome) des microbiotes, et évalue si la présence de l’un d’eux est associée à de moindres chances de guérison de la pneumonie. Dans ce cas, la possibilité – et les mécanismes – par lesquels le transfert de gènes a lieu depuis les bactéries commensales vers le pathogène devront être caractérisés. L’analyse du résistome pourrait donc conduire à identifier des germes commensaux dont le génome est bénéfique au maintien de la fonction pulmonaire lors du traitement de la pneumonie. Après identification des gènes de résistance, Étienne Ruppé synthétisera les protéines correspondantes pour mieux savoir comment et à quel antibiotique elles permettent de résister. « Ces espèces pourraient ensuite être utilisées en tant que probiotique au moment d’une antibiothérapie, poursuit-il. Mais parce que les bactéries de la flore respiratoire sont souvent difficiles à isoler et à cultiver hors des poumons, d’autres qui protègeraient les précédentes de l’action de l’antibiotique et qui seraient plus faciles à manipuler pourraient aussi être utilisées comme probiotiques. » De véritables gardes du corps. Dans tous les cas, une autre approche, elle aussi novatrice, quand on sait que 60 % des décès pour infections en France sont dus aux pneumonies.


Jean-François Timsit et Étienne Ruppé sont tous deux chercheurs au sein unité Infection, antimicrobiens, modélisation, évolution (IAME, unité 1137 Inserm/Université Paris-Cité/Université Sorbonne Paris Nord), Paris.

Antoine Roquilly codirige l’équipe Interactions hôte-pathogènes, inflammation et immunité muqueuse au Centre de recherche translationnelle en transplantation et immunologie (CR2TI, unité 1064 Inserm/Nantes Université), à Nantes.


Autrice : C. G.

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Interprétation de test de détection colorimétrique de carbapénèmase. Laboratoire de recherche 914 Inserm "Résistances Emergentes aux antibiotiques", CHU hôpital du Kremlin Bicêtre (Val-de-Marne).