MYESTROM : Mieux prédire les accouchements prématurés

À l’Institut Cochin (unité Inserm 1018 / CNRS / Université Paris Cité), Céline Mehats, directrice de recherche à l’Inserm, est une spécialiste de l’accouchement et de la prématurité, un sujet qu’elle investigue dans le cadre du projet MYESTROM subventionné par l’Agence nationale de la recherche, afin de garantir une meilleure prise en charge des femmes et de leurs enfants à naître. Elle nous présente son parcours et les enjeux de ses travaux pour le festival de l’Inserm, InScience.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Céline Mehats : J’ai réalisé ma thèse au sein d’une équipe Inserm parisienne, qui travaillait sur l’utérus et le placenta, et dans laquelle je m’intéressais spécifiquement aux contractions utérines ; notamment à une famille d’enzymes pouvant servir de nouvelle cible pour des médicaments diminuant ces contractions, plus communément appelés agents tocolytiques. La finalité était de mieux limiter, et ce autant que possible, les risques d’un accouchement prématuré.

Ensuite, je suis partie 3 ans au département d’obstétrique et de gynécologie pour un post-doc à l’Université Stanford, en Californie (États-Unis), pour travailler sur la même famille d’enzymes que lors de mon doctorat.

J’ai pu revenir en France grâce à un contrat Inserm « Jeune chercheur », et je souhaitais continuer à travailler sur la grossesse et la prématurité. J’ai rejoint l’unité de Danièle Evain-Brion, à la Faculté de Pharmacie de Paris, où j’ai pu développer mon projet en collaboration avec des cliniciens. Depuis 2010, je poursuis mes travaux dans le laboratoire « Des gamètes à la naissance » de l’Institut Cochin, où j’ai pu monter mon groupe de recherche. Il y a quatre groupes au sein du laboratoire, chacun y développe sa propre thématique, mais nous avons souvent des projets communs et nous nous entraidons beaucoup.

Quels sont les principaux enjeux de la recherche sur la prématurité ?

C. M. : La prématurité est une question de santé publique sur laquelle il y a eu peu de progrès depuis les années 70. Il y a de la recherche clinique bien sûr, pour mieux accompagner et traiter les femmes et les enfants prématurés, mais il y a encore peu de recherche fondamentale, pour comprendre les mécanismes de la prématurité. Par exemple, on ne sait toujours pas quel est le signal qui déclenche l’accouchement chez la femme. Lors d’un risque d’accouchement prématuré, la moitié des femmes sont hospitalisées, alors qu’au final, on sait que 85% d’entre elles ne vont pas accoucher dans les sept jours qui suivent ! Ces hospitalisations se font parfois loin de chez elles, potentiellement seules, et elles reçoivent un traitement qui peut être néfaste pour l’enfant s’il ne nait pas dans les 7 jours. C’est pourquoi comprendre comment déterminer avec plus de certitude si une femme va bientôt accoucher est un enjeu très important selon moi.

©David Chénière

Pouvez-vous nous parler de votre projet « MYESTROM » ?

C. M. : Ce projet a deux objectifs. Tout d’abord, déterminer les gènes liés au déclenchement de l’accouchement. En effet, si on connaît les événements qui mènent à l’accouchement, on ne sait pas quel est le signal qui va déclencher ces événements. Or il y a eu une avancée technologique récente, appelée « analyse à l’échelle de la cellule unique ». Ce dernier nous a permis de mieux séparer les différents tissus de l’utérus et analyser leurs gènes séparément, ainsi que les changements d’expressions géniques impliqués dans l’accouchement.

Pour exploiter ces nouvelles technologies, j’ai reçu l’aide de collègues ingénieurs des plates-formes technologiques de l’Institut Cochin qui travaillent avec celles-ci. Nous avons comparé des tissus de l’interface fœto-maternelle obtenus chez des femmes qui ont accouché par césarienne avant le déclenchement naturel, à ceux de femmes qui ont accouché spontanément par voie basse, afin de mieux comprendre les gènes impliqués. Il faut garder à l’esprit que le temps de la recherche est un temps long, et incompressible : j’ai reçu le financement en 2020 pour monter ce projet, et nous commençons seulement aujourd’hui à identifier les gènes intéressants !

Notre second objectif est de trouver des biomarqueurs pronostiques ou diagnostiques pour mieux prédire le risque d’accouchement. En m’associant à un consortium autour de l’infection néonatale, j’ai eu la chance d’avoir accès à des prélèvements vaginaux issus d’une cohorte rassemblant environ 2500 patientes. Cela m’a permis de tester une trentaine de molécules liées à l’inflammation et l’immunité afin de voir si elles étaient retrouvées en concentration accrue dans les prélèvements vaginaux des femmes qui accouchaient de manière naturelle. 

Nous avons pu identifier huit molécules permettant de discriminer les femmes césarisées avant l’accouchement naturel des femmes qui accouchaient par voie basse. Nous avons ensuite pu valider ces molécules sur 2 séries d’échantillons de prélèvements vaginaux de patientes hospitalisées pour menace d’accouchement spontané. 

Quelles pourraient être les applications thérapeutiques découlant de vos résultats ?

C. M. : L’idée est de construire et d’évaluer un dispositif médical pour une meilleure détection du risque d’accouchement dans les 7 jours, grâce à un simple prélèvement vaginal. En effet, on estime que cette durée correspond à une fenêtre qui donne le meilleur bénéfice pour l’enfant à venir lorsqu’on prend en charge la mère avec des suppléments et un accompagnement. Nous avons pu déposer deux brevets sur les molécules identifiées. D’après notre hypothèse, ce dispositif pourrait diminuer de moitié le nombre de femmes hospitalisées. Cela représenterait un grand bénéfice, notamment pour les troubles anxieux et dépressif qui peuvent être liés à cette hospitalisation. Les résultats arriveront, si tout va bien, en 2027.

Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier de chercheuse à l’Inserm ?

C. M. : Beaucoup de choses me passionnent, mais le moment que je préfère c’est l’arrivée d’un nouveau jeu de données, quand je commence à explorer pour les comprendre. J’aime beaucoup également préparer les expériences, en collaboration avec mes collègues de différentes spécialités !