Mélanome : une mutation faciliterait la formation de métastases

Au sein d’un mélanome, certaines cellules portent une mutation génétique qui affecte leur capacité d’adhésion. Lorsqu’elles manquent d’un facteur de croissance, elles auraient plus de facilité à se disséminer dans l’organisme. L’analyse approfondie de ce mécanisme pourrait permettre d’identifier des cibles thérapeutiques afin de prévenir le phénomène.

Un cancer est dit métastatique lorsqu’une nouvelle tumeur se forme à distance de la tumeur initiale. À ce jour, les mécanismes grâce auxquels les cellules cancéreuses se propagent dans l’organisme et forment ces métastases ne sont pas tous bien décrits. C’est en particulier le cas pour le mélanome, un cancer de la peau agressif, structuré de façon très différente des cancers du sein, du poumon ou du côlon, qui sont par ailleurs mieux compris.

En explorant la biologie du mélanome, l’équipe de Julien Ablain, en collaboration avec le groupe de Leonard Zon au Boston Children’s Hospital (États-Unis), a découvert un mécanisme très particulier, qui combine à la fois un facteur génétique et un facteur de stress cellulaire. « Nous avons tout d’abord observé que le gène qui code pour une molécule d’adhésion cellulaire, la nectine‑1, est plus souvent perdu dans les cellules des métastases de mélanome que dans celles des mélanomes eux-mêmes », explique le chercheur. La protéine nectine‑1 participe à la formation de jonctions entre cellules, elle aide le tissu à maintenir son intégrité. Dès lors, la perte du gène qui code cette protéine peut favoriser la dissémination des cellules tumorales : les cellules qui ne le portent plus vont plus facilement migrer hors de la tumeur primaire que celles qui l’expriment encore.

Toutefois, même lorsque le gène est perdu, la formation de métastases n’est pas systématique. D’autres phénomènes doivent intervenir pour conduire à cette migration cellulaire. Les chercheurs ont découvert le rôle d’un stress cellulaire provoqué par un déficit en IGF‑1. « Ce facteur de croissance cellulaire circule dans l’organisme où il favorise la prolifération et la survie de certaines cellules, notamment celles de cellules tumorales. Si ce facteur vient à manquer, les cellules tumorales cherchent à s’adapter en formant des jonctions entre elles grâce à la nectine‑1. Mais lorsque le gène codant pour la nectine‑1 a été perdu, elles en sont incapables et peuvent disséminer plus facilement. »

Une voie nécessaire et suffisante ?

Le chercheur veut désormais comprendre par quels mécanismes précis IGF‑1 et la nectine‑1 interagissent. Pour cela, il souhaite poursuivre ces travaux, réalisés sur des cultures de cellules humaines et chez le poisson-zèbre, un modèle animal fiable pour l’étude du mélanome. « Comprendre les relations réciproques entre ces deux acteurs pourra aider à identifier de potentielles cibles thérapeutiques et à s’attaquer aux mécanismes de dissémination des cellules de mélanome, explique-t-il. Étant donné que l’IGF‑1 favorise la prolifération cellulaire, il est difficilement imaginable d’augmenter sa concentration au niveau de la tumeur. Mais si l’on comprend finement l’ensemble de la réponse cellulaire à un déficit en IGF‑1, nous pourrons peut-être la détourner de manière à pousser les cellules tumorales à s’engager dans une impasse qui favoriserait leur mort. » Julien Ablain souhaite pour cela identifier l’ensemble des signaux cellulaires activés par une faible disponibilité du facteur de croissance. « Nous voulons savoir si l’interaction entre nectine‑1 et IGF‑1 est suffisante pour provoquer la dissémination des cellules tumorales, ou si d’autres mécanismes interviennent simultanément. Par ailleurs, il est important de garder en tête que les mélanomes sont hétérogènes », insiste-t-il. Au sein d’une même tumeur, les cellules peuvent en effet présenter aucune, une ou deux copies du gène de la nectine‑1. D’autre part, selon leur localisation au sein de la masse tumorale, toutes ne sont pas exposées aux mêmes concentrations en IGF‑1 circulant. « Il faut aussi s’attendre à une hétérogénéité du comportement des mélanomes d’un patient à l’autre. Néanmoins, on peut se demander si la perte du gène de la nectine‑1 pourrait constituer un facteur pronostique d’évolution du mélanome. » Aussi, des études complémentaires pourraient permettre d’évaluer si la recherche de cette anomalie génétique lors du bilan diagnostique initial de la maladie serait utile à l’orientation de sa prise en charge.


Julien Ablain est responsable de l’équipe Adhésion et signalisation dans le mélanome métastatique, dans le département Échappement tumoral, résistance et immunité du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (unité 1052 Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1, Centre Léon Bérard).


Source : J Ablain et coll. Loss of NECTIN1 triggers melanoma dissemination upon local IGF1 depletion. Nature Genetics, édition du 13 octobre 2022. DOI : 10.1038/s41588-022–01191‑z

À lire aussi