Maladie d’Alzheimer : un nouvel algorithme pour aider à dépister les personnes à risque

Au centre de recherche Bordeaux population health, une équipe Inserm a développé un modèle qui permet, à partir de données biologiques et cliniques, de prédire le risque de présenter un seuil pathologique de dépôts amyloïdes dans le cerveau. Facilement utilisable chez des patients qui ont des troubles de mémoire sans être atteints de démence, ce modèle pourrait aider à identifier des personnes à risque de développer la maladie d’Alzheimer.

La maladie d’Alzheimer se caractérise par la présence de dépôts de protéines – des peptides amyloïdes bêta – dans le cerveau des patients. Ces dépôts forment des plaques qui entraînent des dommages et la destruction de neurones impliqués dans la mémoire et les fonctions cognitives. Sachant que leur formation débute plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes, leur dépistage précoce pourrait permettre une prise en charge des formes débutantes de la maladie d’Alzheimer : plusieurs médicaments ou candidats-médicaments ciblent d’ailleurs ces dépôts pour freiner la progression de la maladie. Parmi eux, des anticorps monoclonaux sont déjà autorisés dans plusieurs régions du monde, dont un en Europe. D’autres médicaments sont en cours d’évaluation, et des personnes qui présentent un seuil pathologique de dépôts amyloïdes sont sélectionnées pour participer à ces essais cliniques. C’est dire l’importance de pouvoir facilement mesurer ces dépôts dans le cerveau des patients.

Actuellement, cette mesure est réalisée à partir d’un échantillon de liquide céphalo-rachidien obtenu par ponction lombaire, ou par un examen d’imagerie sophistiqué (TEP-amyloïde). « Ces deux méthodes sont invasives, coûteuses, et peu accessibles en routine. Nous avons cherché une méthode alternative plus facile d’accès, qui pourrait être proposée au plus grand nombre. C’est ainsi que nous avons pensé à développer un modèle prédictif d’un seuil pathologique de dépôts amyloïdes, à partir de critères sociodémographiques, biologiques ou encore cliniques », explique Carole Dufouil, directrice de recherche Inserm au centre de recherche Bordeaux population health.

La cohorte Memento

Pour cela, l’équipe a utilisé les données de l’étude Memento. Lancée en 2011, elle a inclus 2 323 patients recrutés dans les Centres Mémoire de ressources et recherche (CMRR), qui consultaient en raison d’un trouble cognitif léger ou d’une plainte cognitive subjective. Ils ont accepté d’être suivis pendant cinq ans, pour permettre aux scientifiques de rechercher chez eux des déterminants et d’éventuels signes précurseurs de la maladie d’Alzheimer. Dans ce but, un recueil homogène et standardisé de données sociodémographiques, biologiques, cliniques, et d’imagerie (IRM), a été réalisé pour chaque participant. L’équipe bordelaise a testé six modèles prédictifs sur un échantillon de 853 d’entre eux, chez lesquels un dosage des dépôts amyloïdes avait été réalisé.

Les six modèles intégraient un socle commun de données sociodémographiques (âge, sexe, indice de masse corporelle ou encore niveau d’éducation) et cognitives (résultats à quatre tests standards d’évaluation de la mémoire et de la fonction cognitive). Chacun intégrait en plus différents marqueurs spécifiques de la maladie d’Alzheimer : génétique (présence de l’allèle ApoE4 du gène de l’apolipoprotéine E qui prédispose à la maladie), sanguins (concentration dans le sang de différentes formes des protéines amyloïdes bêta et Tau, Ab42/40 et pTau 181, associées au risque de présenter la maladie) ou d’imagerie (atrophie de l’hippocampe observée par IRM, microhémorragies cérébrales). « En ajoutant progressivement de nouveaux marqueurs, nous avons pu évaluer leur apport pour la prédiction de la présence de dépôts amyloïdes », explique Lisa Le Scouarnec, première autrice de ces travaux.

Un modèle validé

Deux modèles se sont révélés fortement prédictifs d’un seuil pathologique de dépôts amyloïdes : ceux qui incluent le statut du gène de l’apolipoprotéine E et/ou les biomarqueurs sanguins. Les chercheurs ont ensuite pu valider leurs algorithmes dans une seconde cohorte, l’Amsterdam Dementia Cohort, également composée de patients qui se plaignaient de troubles de la mémoire et dont le dosage des dépôts amyloïdes était connu. « Cette validation a confirmé la pertinence et la possibilité de généraliser nos modèles, précise Lisa Le Scouarnec. Mais étant donné que la détermination du statut du gène de l’apolipoprotéine E n’est pas encore disponible en routine et que sa généralisation pose des questions éthiques en l’absence de traitement efficace, nous recommandons l’utilisation de celui qui inclue uniquement les biomarqueurs sanguins liés à la maladie d’Alzheimer, en plus des variables du socle commun. »

Mais en pratique, comment utiliser ce modèle ? « Sa sensibilité et sa spécificité ne sont pas à la hauteur de celles des examens traditionnels par imagerie ou ponction lombaire », clarifie d’emblée Lisa Le Scouarnec. Cependant, elles sont suffisantes pour exclure l’existence d’un risque chez certains patients : « Concrètement, dans une population identique à la cohorte Memento, dans laquelle environ un quart des individus présentent un seuil pathologique de dépôts amyloïdes, l’utilisation de ce modèle permettrait d’éviter des examens complémentaires chez environ 30 % des personnes », estime-t-elle. L’équipe va continuer à améliorer les performances de ce nouvel outil en testant l’ajout de nouveaux biomarqueurs sanguins, à commencer par pTau217 (une autre forme de la protéine Tau). « À terme, notre objectif est de proposer un outil facile et rapide à mettre en œuvre en remplacement des techniques de dépistage actuelles », conclut Lisa Le Scouarnec.


Carole Dufouil dirige l’équipe Recherche translationnelle en santé des populations (PHARes) au Bordeaux population health (BPH, unité 1219 Inserm/Université de Bordeaux). Lisa Le Scouarnec, épidémiologiste et biostatisticienne, est doctorante dans son équipe et au centre d’investigation clinique de Bordeaux (CIC 1401 Inserm/CHU de Bordeaux).


Source : L. Le Scouarnec et coll. Development and assessment of algorithms for predicting brain amyloid positivity in a population without dementia. Alz Res Therapy, 11 octobre 2024 ; doi:10.1186/s13195-024–01595‑5

Autrice : A. R.

À écouter

Pourquoi certaines personnes résistent mieux à la maladie d’Alzheimer que d’autres ? Pour aider les chercheurs à répondre à cette question, Christian (73 ans) et Renée (75 ans) participent à l’étude B cube. Dans l’épisode 08 de la saison 1 du podcast Les Volontaires, Chandrou Koumar, journaliste et docteur en neuroscience, les a rencontrés chez eux, le jour de la visite de Clara, l’infirmière de l’étude. Une journée… inoubliable !

À lire aussi

Avec l'augmentation de l'espérance de vie, 1,3 million de malades attendus en 2020