Lymphome anaplasique à grandes cellules : une piste pour le traitement de formes résistantes

Grâce à l’édition génomique, et en particulier à l’utilisation du système CRISPR-Cas9, deux équipes Inserm ont conjointement réussi à reproduire l’anomalie génétique à l’origine d’un cancer pédiatrique rare : le lymphome anaplasique à grandes cellules. Cette avancée leur a permis de décrire les étapes précoces qui conduisent au développement de la maladie et ainsi de découvrir une cible thérapeutique particulièrement intéressante pour lutter contre des formes résistantes aux traitements.

Le lymphome anaplasique à grandes cellules (ALCL) est un cancer du sang agressif qui se développe à partir d’un type de globules blancs présents dans le système lymphatique : les lymphocytes T. La maladie touche les organes lymphoïdes (ganglions, rate...), avec parfois des manifestations cutanées. Dans plus de la moitié des cas, en particulier chez les enfants et les jeunes adultes, elle est déclenchée par l’apparition d’une anomalie chromosomique qui transforme une cellule saine en cellule cancéreuse. Appelé « translocation », cette anomalie correspond à un échange de matériel entre deux chromosomes : elle induit la fusion de deux gènes (NPM1 et ALK), qui aboutit elle-même à l’expression permanente de l’oncogène ALK. Les lymphocytes T ALK+ ainsi générés se mettent alors à proliférer de manière anarchique et déclenchent l’apparition du cancer. Si la plupart des patients répondent bien à la chimiothérapie, qui permet de guérir la majorité d’entre eux, des récidives surviennent dans environ 30 % des cas. Très difficiles à traiter, ces formes résistantes ont un mauvais pronostic.

Un modèle animal original

Jusqu’ici, il était difficile de mieux comprendre les mécanismes induits par cette translocation chromosomique et d’identifier un moyen de s’attaquer aux formes résistantes de ce lymphome. En effet, les modèles animaux disponibles pour l’étudier ne reproduisaient pas bien la pathologie humaine. Dans ces modèles, l’insertion du gène de fusion NPM1-ALK et sa surexpression induisent plus souvent d’autres types de lymphomes, impliquant des lymphocytes B. Pour disposer d’un modèle pertinent, l’équipe d’Erika Brunet1 a décidé de reproduire fidèlement la translocation chromosomique à l’origine du lymphome ALCL, grâce à l’édition génomique de lymphocytes T sains issus de donneurs de sang. « Nous n’insérons aucun gène à proprement parler. Les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 permettent de couper l’ADN dans des régions cibles et d’obtenir la translocation attendue dans un petit nombre de cellules. Ces dernières se multiplient ensuite rapidement in vitro, alors que les cellules non modifiées meurent », explique la chercheuse. En collaboration avec l’équipe de Thomas Mercher2 et le Centre de recherches en cancérologie de Toulouse, ces cellules anormales ont ensuite été injectées à des souris pour obtenir des lymphomes anaplasiques à grandes cellules qui reproduisent les caractéristiques de la pathologie humaine.

Une cible thérapeutique d’intérêt

Ce modèle a permis aux chercheurs de suivre pas à pas la transformation des cellules qui acquièrent la translocation. « Dès l’apparition de cette anomalie, on observe la surexpression d’une vingtaine de gènes qui sont notamment impliqués dans une voie de signalisation activée dans de nombreux cancers (voie WNT). De manière tout à fait intéressante, nous avons aussi observé l’apparition d’un récepteur nommé ROR2 à la surface des cellules devenues cancéreuses. Normalement, cette protéine de surface est exprimée au début du développement embryonnaire, puis très peu par la suite. Elle pourrait donc constituer une bonne cible thérapeutique dans le contexte qui nous intéresse. Nous avons d’ailleurs confirmé nos résultats sur des biopsies de patients et retrouvé cette protéine ROR2 à la surface des cellules tumorales dans 95 % des échantillons », poursuit Erika Brunet. À ce titre, les chercheurs ont déposé un brevet avec l’Inserm et l’institut Imagine. Leur but est de développer des thérapies qui ciblent ce récepteur, par exemple avec des CAR‑T, des cellules immunitaires génétiquement modifiées pour éliminer spécifiquement des cellules cancéreuses porteuses d’un antigène tumoral particulier.

Notes :
1 : unité 1163 Inserm/Université Paris Cité, Institut Imagine, Paris 2 : unité 1170 Inserm/Université Paris Saclay/Gustave Roussy, Villejuif

Projet soutenu par l’INCa et la Ligue contre le cancer

Source : L Babin, et coll. De novo generation of the NPM-ALK fusion recapitulates the pleiotropic phenotypes of ALK+ ALCL pathogenesis and reveals the ROR2 receptor as target for tumor cells. Molecular Cancer, édition en ligne du 4 mars 2022. DOI : 10.1186/s12943-022–01520‑0

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