Infections chroniques : l’étude de la brucellose révèle un mécanisme potentiellement commun à d’autres bactéries

Par quels mécanismes Brucella abortus, la bactérie responsable de la brucellose, est-elle capable d’échapper à notre système immunitaire pour persister dans notre organisme ? Une équipe marseillaise a percé ce mystère. Mieux encore, ces mécanismes pourraient être partagés avec d’autres agents infectieux et constitueraient dès lors de prometteuses cibles pour de nouvelles stratégies thérapeutiques.

La bactérie Brucella abortus représente un danger dans les régions du monde qui n’ont pas mis en place de politique coordonnée pour l’éradiquer. En effet, si elle infecte en premier lieu les bovidés et d’autres animaux d’élevage, elle est facilement transmissible à l’humain par contact avec des animaux infectés et par ingestion de produits laitiers contaminés. En raison de sa transmissibilité par inhalation de particules aérosols infectées, cette bactérie est même considérée comme un agent biologique potentiellement utilisable en bioterrorisme. L’infection humaine entraîne une fièvre intermittente qui dure plusieurs semaines et peut provoquer des complications parfois fatales. La maladie peut en outre évoluer vers une forme chronique particulièrement problématique car les bactéries qui persistent alors dans l’organisme résistent aux traitements antibiotiques. Sachant qu’il n’existe aucun vaccin contre la brucellose, il est donc nécessaire de développer de nouveaux traitements pour être de mesure de faire face à d’éventuelles épidémies. Dans cet objectif, les scientifiques s’intéressent en particulier aux mécanismes qui permettent à la bactérie d’échapper au système immunitaire et conduisent ainsi à la chronicisation de l’infection.

Un environnement immunitaire globalement déprimé

« La capacité de Brucella abortus à coloniser certaines cellules de la rate, des ganglions lymphatiques et de la moelle osseuse, a déjà été décrite, mais la façon dont cette bactérie échappe à l’action de notre système immunitaire et persiste dans l’organisme n’était pas encore pleinement établie », explique Sylvie Mémet, chercheuse Inserm au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy dans l’équipe dirigée par Jean-Pierre Gorvel, expert mondial de la brucellose. Avec ce dernier et en collaboration avec plusieurs laboratoires étrangers, la scientifique a coordonné des travaux qui ont révélé l’importance insoupçonnée de l’omentum (ou épiploon) : ce fin tissu blanc à l’aspect dentelé, plus connu sous le nom de « crépine » chez l’animal, est un repli du péritoine, la membrane qui tapisse les parois de l’abdomen et du bassin. Au-delà de son rôle dans le soutien des organes, il exerce des fonctions immunitaires. « Chez la souris, nous avons observé que Brucella abortus infecte rapidement les macrophages qui résident dans ce tissu, puis arrive à s’y maintenir », rapporte la chercheuse. Or les macrophages sont des cellules du système immunitaire qui ont normalement pour fonction de détruire les bactéries après les avoir incorporées : par quel biais Brucella y survit-elle durant des semaines ?

« Il est apparu que les macrophages infectés expriment plusieurs molécules immunosuppressives à leur surface, comme PD-L1 ou Sca‑1, précise Sylvie Mémet. L’infection par la bactérie induit également le recrutement d’autres types de cellules immunitaires dans l’omentum, des neutrophiles et des monocytes. Ces derniers expriment également des facteurs immunosuppresseurs et produisent une substance, l’IL-1RA, qui inhibe l’activation des lymphocytes T recrutés sur place. » En d’autres termes, l’environnement immédiat de la bactérie devient progressivement constitué de cellules immunitaires aux fonctions variées, mais dont l’activité antibactérienne est systématiquement neutralisée.

Les chercheurs ont aussi réussi à découvrir comment Brucella parvient à cette situation qui lui est particulièrement favorable : comme d’autres bactéries, elle possède à sa surface des lipopolysaccharides (LPS), des composants majeurs de leur membrane. Mais leur structure est différente de celles retrouvées sur des bactéries plus classiques comme E. coli : ainsi, le LPS de Brucella lui permet d’échapper à certains acteurs de l’immunité innée, de recruter des neutrophiles, des monocytes et des macrophages et d’induire l’expression de facteurs d’immunosuppression les cellules recrutées.

Des perspectives thérapeutiques proches

Mieux encore, l’analyse d’échantillons sanguins de patients atteints de brucellose chronique montre des niveaux élevés d’IL-1RA et une surexpression du gène PD-L1 : « Nous pensons donc que les mécanismes d’échappement immunitaire de Brucella sont comparables chez la souris et chez l’humain, poursuit la chercheuse, et que l’omentum constitue un réservoir bactérien chez les personnes infectées. » Lorsque cette hypothèse sera vérifiée, elle pourrait rapidement se traduire en perspectives thérapeutiques : en effet, IL-1RA et PD-L1 sont la cible de médicaments déjà utilisés dans d’autres affections, notamment pour le traitement de cancers ou de certaines maladies inflammatoires. Des essais cliniques seraient donc relativement faciles à démarrer, afin d’étudier l’efficacité de ces médicaments contre la brucellose. Ces mêmes cibles moléculaires pourraient en outre être utilisées pour développer des vaccins contre la maladie.

« Et Brucella n’est pas la seule bactérie intracellulaire capable d’infecter durablement un individu, complète Sylvie Mémet. D’autres équipes ont décrit que des taux d’IL-1RA élevés dans des modèles murins d’infection par Mycobacterium tuberculosis ou par Yersinia pestis, respectivement responsables de la tuberculose et de la peste. Il faudrait se pencher en détail sur les processus biologiques liés à ces deux infections, afin de savoir si les stratégies de persistance de ces pathogènes sont similaires et pourraient être la cible des mêmes traitements. » Enfin, cette étude pourrait aussi avoir des implications dans le domaine du cancer. L’expression de PD-L1 et la production d’IL-1RA sont en effet souvent retrouvés dans le microenvironnement des cellules cancéreuses qui échappent à l’immunité. Mieux comprendre et cibler les mécanismes découverts par Sylvie Mémet et ses collaborateurs pourraient donc aussi conduire à de nouvelles stratégies d’immunothérapie antitumorale.


Sylvie Mémet est chercheuse Inserm dans l’équipe Immunologie et biologie des interactions hôte pathogène dirigée par Jean-Pierre Gorvel au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML, unité 1104 Inserm/CNRS/Aix-Marseille Université), à Marseille.


Source : J. Pellegrini et coll. Brucella abortus impairs T lymphocyte responsiveness by mobilizing IL-1RA-secreting omental neutrophils. Nature Comm, 20 janvier 2025 ; doi : 10.1038/s41467-024–55799‑2

Autrice : C. G.

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