Imagerie médicale : Démocratiser l’IRM cardiaque

En alliant des clichés plus informatifs et leur analyse grâce à l’intelligence artificielle, l’équipe d’Aurélien Bustin à Bordeaux rend l’IRM cardiaque rapide, confortable pour les patients et à la portée de tous les radiologues non experts. Une innovation majeure pour la radiologie… mondiale.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°62

« Depuis plus de 25 ans, l’imagerie par résonance magnétique (ou IRM) cardiaque permet d’évaluer diverses atteintes du cœur et notamment les cicatrices présentes sur cet organe suite par exemple à un infarctus. Le problème est que cet examen très complexe est réservé aux centres d’imagerie experts du domaine ; une limite valable dans le monde entier, décrit Aurélien Bustin, chercheur en cardiologie à l’Institut des maladies du rythme cardiaque. C’est pourquoi nous avons développé une méthode qui “simplifie” la procédure et grâce à laquelle l’IRM cardiaque va devenir accessible à un plus grand nombre de cabinets de radiologie, tout en étant plus confortable pour les patients. »

La complexité de l’IRM cardiaque standard réside tout d’abord dans le fait que le cœur est un organe qui bouge, situé dans le haut du corps, lequel est également en mouvement à cause de la respiration. Or, le principe de l’IRM peut être rapproché de celui de la photographie. Si le temps de pause est long et que le sujet bouge, le cliché sera flou. Deuxième source de complexité : l’IRM nécessite de choisir les paramètres de la machine, ou séquences, qui permettent de collecter les « bons » clichés, appelés « acquisitions » par les spécialistes, c’est-à-dire ceux qui sont informatifs. Enfin, ces images doivent être « contourées ». Il s’agit d’y dessiner à la main le contour des zones d’intérêt, par exemple la cicatrice due à un infarctus, les limites anatomiques d’un ventricule, d’un muscle…

En pratique, « le manipulateur radio (c’est-à-dire la personne qui pratique l’IRM) doit donc maîtriser tous les paramètres techniques qui lui permettront d’obtenir 800 à 1 000 clichés. En outre, durant l’examen qui dure de 45 minutes à une heure, il s’adresse non-stop au patient car celui-ci doit retenir sa respiration à chaque acquisition, pour ne pas bouger et éviter les images floues. De fait, le patient réalise en moyenne une soixantaine d’apnées, ce qui est extrêmement dur, même pour une personne en bonne santé, explique le chercheur. Les clichés sont ensuite envoyés à un radiologue pour contourage, une opération très chronophage. En effet, les radiologues y consacrent de nombreuses heures par jour… Enfin, pour 16 % des patients, il subsiste un doute quant à l’interprétation des images car, par exemple, une tache blanche peut aussi bien être du sang qu’une lésion du muscle cardiaque. Toutes ces contraintes imposent que les IRM cardiaques soient faites et interprétées par des spécialistes qui ne sont pas disponibles partout sur le territoire. Les délais pour obtenir un rendez-vous sont donc très longs ; il faut compter de 4 à 6 mois d’attente ! »

Une IRM confortable et plus simple

Pour lever ces freins, Aurélien Bustin et son équipe ont tout d’abord recherché une solution pour améliorer la collecte des images. « Nous avons mis au point une nouvelle séquence, appelée SPOT, qui corrige les artéfacts liés aux mouvements et génère les images beaucoup plus rapidement. Bilan, le patient fait en quelque sorte une “petite sieste” de cinq minutes dans la machine durant lesquelles il respire normalement, explique le chercheur. Par ailleurs, nous avons amélioré la résolution des images, qui sont la résultante de deux salves de clichés. La première permet d’établir l’anatomie du cœur. Sur la seconde, il n’y a aucun signal lié au sang et au muscle cardiaque – les zones correspondantes sont noires – et seul persiste le signal de la cicatrice qui apparaît en blanc et qui est ensuite colorée. La fusion de ces deux types d’images permet de situer précisément la lésion et d’être certain que c’est bien une cicatrice et pas autre chose. On a ainsi éliminé une grande partie des 16 % de diagnostics incertains. » De fait, courant 2021, l’équipe a montré chez 37 patients pris en charge au CHU de Bordeaux que les clichés obtenus avec cette séquence étaient de meilleure qualité que ceux collectés avec la méthode standard, et que la procédure était beaucoup moins contraignante pour les patients, mais aussi pour les manipulateurs radio et les radiologues.

Gain de temps pour les radiologues

« Dans la foulée, on s’est rendu compte que la coloration de la lésion ouvrait une porte immense vers une utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour la contourer automatiquement », poursuit le chercheur. L’équipe a développé un algorithme à cette fin. Après l’avoir entraîné sur les IRM de 500 patients dont les contourages avaient été faits avec la technique standard « humaine », ils ont procédé à 73 examens totalement nouveaux. Ces derniers ont été analysés à la fois avec l’algorithme et par deux radiologues qui avaient 20 et 7 années d’expérience. L’IA s’est révélée tout aussi fiable que les experts, et beaucoup plus rapide ; le contourage était bouclé en quelques secondes. Compte tenu de ces résultats, cette méthode innovante d’IRM cardiaque combinée à l’IA est aujourd’hui déployée en routine au CHU de Bordeaux, ainsi que dans trois autres centres experts à Paris, Lyon et Lausanne. D’ores et déjà, au moins 600 patients en ont bénéficié. « L’objectif de cette phase est d’avoir les retours des spécialistes, afin de valider la méthode chez des milliers de patients. Une fois cette validation faite, notre technologie pourra intégrer des centres d’imagerie qui, pour l’instant, ne sont pas en capacité d’effectuer des IRM cardiaques », précise Aurélien Bustin.

Sous peu, le diagnostic et le suivi des lésions cardiaques à la suite d’un infarctus du myocarde ne devraient plus être exclusivement une affaire d’experts. Pour autant, le chercheur n’en a pas fini avec l’amélioration de l’imagerie cardiaque. En effet, l’équipe a montré que la séquence développée est utilisable aussi chez les patients qui ont un pacemaker ou un défibrillateur cardiaque, deux dispositifs médicaux qui interféraient jusque-là avec la machine qui génère les images. Par ailleurs, les scientifiques évaluent la faisabilité potentielle de cette approche pour visualiser d’autres atteintes cardiaques comme les infiltrations graisseuses du myocarde. À l’heure où les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès dans le monde, nul doute que ces travaux qui contribuent à « simplifier » et donc à démocratiser l’IRM cardiaque sont un véritable enjeu de santé publique.


Aurélien Bustin est chercheur dans l’équipe Électrophysiologie cardiaque au Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux (unité 1045 Inserm/Université de Bordeaux).


Sources

  • S. Sridi et al. Improved myocardial scar visualization with fast free-breathing motion-compensated black-blood T1-rho-prepared late gadolinium enhancement. MRI Diagn Interv Imaging., décembre 2022 ; doi : 10.1016/j.diii.2022.07.003
  • V. de Villedon de Naide et al. Advanced Myocardial MRI Tissue Characterization Combining Contrast Agent-Free T1-Rho Mapping With Fully Automated Analysis. J Magn Reson Imaging., 1er juillet 2024 ; doi : 10.1002/jmri.29502
  • P. Gut et al. Wideband black-blood late gadolinium enhancement imaging for improved myocardial scar assessment in patients with cardiac implantable electronic devices. Magn Reson Med., 9 juin 2024 ; doi : 10.1002/mrm.30162

Autrice : F. D. M.

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