Faire de la recherche clinique une priorité

Le président-directeur général de l’Inserm, Didier Samuel, rappelait lors de son entrée en fonction début 2023, les attentes fortes de l’État et des citoyens en matière de recherche biomédicale. Pour rester à la hauteur, l’Institut a donc encore musclé sa politique d’accompagnement des chercheurs, en lien étroit avec les universités et les centres hospitalo-universitaires. Éclairage sur les nouveaux outils et organisations proposés par l’Institut pour renforcer la recherche clinique, avec Hélène Espérou, responsable du pôle Recherche clinique de l’Inserm, et Grégoire Rey, responsable de l’unité de service France cohortes.

Un article à retrouver dans le rapport d’activité 2023 de l’Inserm

Tout d’abord, que représente la recherche clinique à l’Inserm ?

Hélène Espérou : Les chercheurs de l’Institut mènent chaque année environ 250 études impliquant des personnes humaines. Elles sont destinées à mieux comprendre certaines pathologies ou expositions environnementales, à développer de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux, ou encore à tester des interventions en santé humaine. Le pôle Recherche clinique de l’Inserm et l’unité France Cohortes proposent un certain nombre d’outils et de structures qui facilitent le lancement et la réalisation de ces projets, depuis les premières étapes jusqu’à la clôture et à la publication des résultats.

Quelles sont ces structures dédiées à la recherche clinique ?

H. E. : Les centres d’investigation clinique (CIC), qui existent au sein de la plupart des hôpitaux universitaires, sont des acteurs importants : ils font le pont entre connaissances fondamentales et applications cliniques. L’Inserm les pilote avec le ministère de la Santé et de la Prévention. En juin 2023, leur cahier des charges a été rénové en faveur d’un socle commun de compétences, de collaborations renforcées et de programmes scientifiques mieux définis. Désormais, chacun des 34 CIC doit notamment se spécialiser dans un domaine : pharmacologie, biothérapies, innovations technologiques, soins primaires (prévention et médecine générale), santé publique… Cette consolidation crée une nouvelle dynamique qui, nous l’espérons, dopera encore l’activité de ces centres en France.

L’infrastructure F‑Crin a elle aussi évolué. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il en est ?

H. E. : F‑Crin est une infrastructure nationale créée et portée depuis 2012 par l’Inserm, en lien avec ses partenaires universitaires et hospitaliers dans le but de renforcer la recherche clinique. Son objectif est d’identifier et de labelliser des réseaux de recherche pour faciliter la mise en place de projets d’envergure. F‑Crin fédère actuellement près de 1 400 professionnels dans 20 réseaux thématiques (maladie de Parkinson, asthme sévère, obésité, vaccinologie, cardiologie, maladies rares, dispositifs médicaux, épidémiologie…) et s’appuie souvent sur les CIC. Afin de pérenniser cette infrastructure, une nouvelle feuille de route a été élaborée en 2023 pour la période 2024–2028. Axée sur la création de nouveaux réseaux, la consolidation de ceux existants pour des études de longue durée, et le développement de la recherche en soins primaires, elle a été déposée au ministère de la Santé et de la Prévention pour un financement dans le cadre du programme d’investissement public France 2030. Par ailleurs, F‑Crin s’est dotée en 2023 d’une plateforme numérique sur les formations à la recherche clinique, le Training Course Advisor. Elle offre un panorama complet de l’offre pour différents publics : étudiants, professionnels ou même patients.

Concrètement, que permettent ces réseaux thématiques ?

H. E. : En regroupant médecins et chercheurs spécialistes d’un domaine à l’échelle nationale, chaque réseau facilite la réalisation de projets plus ambitieux qu’au niveau local. En 2023 par exemple, le réseau pédiatrique Pedstart F‑Crin a mené en un temps record une étude d’ampleur, appelée Harmonie. En quelques mois, il a recruté plus de 8 000 enfants pour tester le nirsevimab en prévention du risque d’hospitalisation en cas de bronchiolite. Les résultats ont démontré l’efficacité du médicament et conduit à son utilisation en vie réelle en moins d’un an ! Outre ces réseaux, l’Inserm joue un rôle moteur en matière de recherche clinique grâce à des appels à projets spécifiques comme Messidore. Ce dernier encourage les chercheurs à travailler sur des domaines peu explorés en France : les soins primaires, les dispositifs médicaux, ou encore l’exploitation des données de santé. Face au succès de la première édition avec 15 projets sélectionnés pour près de 10 millions d’euros financés par l’Assurance maladie qui est partenaire, une seconde vague d’un montant similaire a été lancée en 2023.

À lire aussi : 11 nouveaux projets collaboratifs alliant recherche et soins sélectionnés par l’Inserm (communiqué de presse du 21 mars 2024)

Et sur le plan administratif, comment faciliter la recherche clinique ?

Grégoire Rey : Nous avons finalisé en 2023 l’organisation d’un guichet unique, qui dépend du pôle Recherche clinique. Auparavant, les chercheurs se tournaient vers plusieurs services de l’Inserm pour différents aspects réglementaires et techniques. Désormais, toutes les démarches sont coordonnées par ce point d’entrée unique, qui instruit les demandes puis vérifie et valide l’ensemble des formalités avant leur transmission à la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou au comité de protection des personnes, en s’appuyant sur des documents types. L’Inserm bénéficie également d’un accès direct au Système national des données de santé (SNDS).

Quel en est le bénéfice ?

G. R. : Nous avons fait un pas de géant en matière d’accès à la base du SNDS hébergée sur les serveurs de l’Assurance maladie. Elle figure parmi les plus importantes au monde puisqu’elle regroupe les données de santé de 65 millions de Français, incluant les remboursements de l’Assurance maladie, les hospitalisations ou encore les causes médicales de décès. Un grand nombre d’études peut être mené à partir de ces données mais compte tenu de leur sensibilité, l’accès est très restreint et une demande nécessitait un à deux ans de formalités. Pour changer la donne, l’Inserm, par le biais du Centre de services SNDS hébergé par France Cohortes, a obtenu de gérer directement et de façon sécurisée les accès de ses chercheurs à cette base. Cette délégation de responsabilité consiste pour l’Institut à vérifier les profils des demandeurs et la nature des requêtes avant de permettre la consultation des données. Pour les dossiers validés d’emblée, ce processus prend seulement 15 jours. Une cinquantaine de projets ont ainsi pu être lancés en 2023.

Pouvez-vous également nous parler du portail FReSH, autre avancée en 2023 ?

G. R. : Le portail France recherche en santé humaine (FReSH), piloté par l’Institut pour la recherche en santé publique (Iresp) et auquel l’Inserm participe activement, vise à référencer l’ensemble des études menées sur la personne humaine en France. Cette traçabilité est importante pour l’Institut, qui finance des cohortes et des projets, mais aussi pour les chercheurs français ou étrangers, afin de connaître les études en cours, d’éviter les redondances en la matière et d’établir des collaborations. Ce projet, initié par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a bénéficié en 2023 d’un financement de 3,3 millions d’euros dans le cadre du programme France 2030. Nous finalisons maintenant la rédaction du cahier des charges pour une mise en service dans les deux à trois années qui viennent.

Comment évaluez-vous l’efficacité des différents outils dédiés à la recherche clinique ?

H. E. : Il est très difficile de savoir où en serait la recherche clinique sans les supports que l’Inserm met à disposition des chercheurs mais ces derniers les estiment indispensables dans un environnement réglementaire, éthique et organisationnel en perpétuelle évolution. Pour preuve, l’Inserm a été impliqué dans le montage de la majorité des 19 projets sélectionnés dans le cadre de la sixième vague du programme de recherche hospitalo-universitaire

France 2030. Et certains lauréats choisissent de confier la promotion de leur étude à l’Inserm, comme pour le programme Liver Track dédié à la mise au point de tests prédictifs des maladies du foie. C’est le signe d’un accompagnement apprécié. Et les recherches cliniques promues par l’Institut aboutissent pour 38 % d’entre elles à des publications, contre 28 % à l’échelle nationale, ce qui est un bon indicateur !

Pour finir, peut-on citer quelques études cliniques emblématiques en 2023 ?

H. E. : Il y a eu de belles avancées qui reflètent la qualité des recherches menées à l’Inserm. Nous pouvons mentionner la communication des premiers résultats du projet Defidiag (pour Déficience intellectuelle diagnostic) lancé dans le cadre du plan France médecine génomique 2025. Son objectif est d’améliorer le diagnostic du handicap cognitif grâce au séquençage complet du génome. Une autre étude terminée, Crespi, a permis de faire le lien entre la santé respiratoire des enfants accueillis en crèche jusqu’à leurs 3 ans et l’utilisation qui est faite de produits d’entretien et de désinfectants. Ces travaux sont véritablement au service d’une meilleure santé des populations. Et pour conclure, nous pouvons mettre en avant les bonnes pratiques en matière de recherche clinique à l’Inserm. Dans une publication parue en 2023 dans le Journal of Clinical and Translational Science, l’Institut s’est placé en tête parmi 25 organismes internationaux de recherche pour l’amélioration de la transparence et la diffusion des résultats des essais, y compris quand ils sont négatifs. Un atout pour rétablir la confiance des citoyens dans la recherche, parfois mise à mal !

Former des médecins-chercheurs : une stratégie inserm

La recherche biomédicale repose sur deux compétences : la médecine et la science. Pourtant, le nombre de médecins parmi les effectifs Inserm a diminué depuis les années 1980 et s’établissait à seulement 6 % en 2020. Pour remédicaliser la recherche, l’Inserm a mis en place des passerelles entre activités de soins et de recherche. Parmi elles, l’École de l’Inserm Liliane-Bettencourt a fêté ses vingt ans en 2023. Près de 400 étudiants en santé ont déjà été formés à la recherche dans le cadre de ce programme piloté par l’Inserm. Les trois quarts ont fait une thèse en science après les trois ans d’école, principalement dans des laboratoires Inserm et CNRS. « L’objectif est de maintenir en France un groupe de médecins chercheurs et de les accompagner dans la durée », explique Christophe Tzourio, codirecteur de l’école. Une étude menée en 2023 montre que deux tiers des personnes passées par cette formation ont continué à faire de la recherche par la suite. Un succès donc, même si l’Inserm souhaite à l’avenir accompagner davantage ces profils dans la durée, au-delà de la diplomation.

L’Inserm propose aussi des postes d’accueil, 42 en 2023, permettant à des internes ou à des chefs de clinique assistants de réaliser une thèse dans un de ses laboratoires : il verse en parallèle une compensation financière à l’hôpital qui « prête » son personnel. Ce plein-temps de recherche suscite parfois des vocations. Grâce aux contrats d’interface, les médecins hospitaliers peuvent quant à eux dégager du temps recherche dans un laboratoire de leur choix pendant trois à cinq ans durant lesquels l’Inserm octroie une contrepartie financière au partenaire hospitalier pour assurer leur remplacement. Une quarantaine de médecins se sont portés volontaires en 2023 et le plan stratégique 2020–2025 prévoit une augmentation de moyens pour ces différents dispositifs.

Enfin, une nouvelle possibilité a été créée en 2023 : un temps protégé recherche pour médecins sous forme d’un partenariat entre l’Inserm et un hôpital, au bénéfice du médecin-chercheur, qui touche 30 % de salaire en plus. Deux médecins ont saisi cette opportunité en 2023, à l’hôpital Sainte-Anne à Paris et à Gustave-Roussy à Villejuif.

Pour aller plus loin, consulter Passerelles soins-recherche (sur Inserm Pro)

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