Diabète de type 2 : de nouvelles cibles circulantes pour lutter contre l’insulinorésistance ?

Les vésicules extracellulaires, convoyeuses de nombreuses substances au sein de notre organisme, joueraient un rôle déterminant dans le développement de la résistance à l’insuline, un trouble du métabolisme qui précède le diabète. À Montpellier, une équipe Inserm y a identifié deux enzymes importantes qui pourraient être ciblées afin de maintenir la sensibilité à l’insuline des cellules du foie et du tissu adipeux.

Les vésicules extracellulaires sont de minuscules « sacs » formés à partir des membranes de nombreuses cellules de l’organisme. Elles circulent dans le sang et d’autres fluides biologiques, chargées de composants qu’elles peuvent transférer d’une cellule à l’autre. Leur présence en grand nombre est associée à différents troubles métaboliques, comme le diabète de type 2, la dyslipidémie ou l’obésité. Des travaux récents suggèrent que ces vésicules participent même activement au développement de ces troubles en transportant des composés qui seraient délétères pour le métabolisme des glucides et des lipides assuré par le foie et le tissu adipeux. « Il a par exemple été décrit que transférer des vésicules extracellulaires prélevées chez des souris obèses favorise l’insulinorésistance chez les souris en bonne santé », explique Carmen Martinez, directrice d’une équipe Inserm au sein de l’unité Physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles à Montpellier. L’insulinorésistance est le processus initial qui conduit au développement du diabète de type 2, une maladie aux conséquences graves dont la fréquence augmente en flèche.

Le rôle des vésicules extracellulaires dans le déclenchement de l’insulinorésistance n’est pas encore clairement établi, mais « le processus à l’œuvre pourrait expliquer pourquoi les personnes en surpoids développent progressivement un diabète de type 2 », poursuit la chercheuse. Pour le confirmer, il restait à vérifier si les vésicules extracellulaires humaines conduisent à un processus comparable à celui observé avec celles prélevées chez des souris. Une validation qui permettrait ensuite d’étudier les mécanismes moléculaires mis en jeu : « Et si l’on découvrait comment les vésicules favorisent l’entrée dans un processus qui conduit au diabète, il deviendrait possible d’identifier des cibles sur lesquelles agir, et donc d’améliorer l’arsenal thérapeutique pour lutter contre cette maladie. » C’est le travail qu’ont conduit Carmen Martinez et son équipe.

Pour ce faire, Sakina Ali, doctorante au laboratoire, a commencé par confirmer que les cellules hépatiques et adipeuses de souris saines développent bien une insulinorésistance lorsque les animaux reçoivent des vésicules extracellulaires prélevées chez des patients eux-mêmes insulinorésistants.

Des processus différents selon la taille des vésicules

Il faut savoir que plusieurs types de vésicules extracellulaires circulent dans l’organisme : les plus petites sont produites à partir de la membrane de compartiments intracellulaires, alors que les grandes sont formées par bourgeonnement de la membrane externe des cellules. Comme dans de précédents travaux, les chercheuses ont observé que leurs effets variaient selon leur taille : « Si toutes les vésicules extracellulaires favorisent le développement d’une insulinorésistance, les mécanismes semblent distincts : les petites vésicules agissent directement sur les cellules du foie et du tissu adipeux, alors que les grandes ont une action directe sur le tissu adipeux mais indirecte sur le foie, via les macrophages. » L’intervention de ces cellules immunitaires n’est pas une surprise, car les macrophages sont déjà décrits comme des acteurs significatifs du processus d’insulinorésistance. Ici, il est apparu qu’en présence des grandes vésicules, ces macrophages sécrètent davantage de composés pro-inflammatoires, comme des interleukines. Or, « on sait que ce type de substance est capable de perturber la sensibilité des cellules à l’insuline ».

Mais quels sont les composés véhiculés par les vésicules extracellulaires capables de perturber le métabolisme des cellules du foie et du tissu adipeux ? En étudiant leur contenu, l’équipe montpelliéraine a observé que les deux types de vésicules issues des patients insulinorésistants conduisent à une réduction de la phosphorylation de protéines qui jouent un rôle clé dans la réponse des cellules à l’insuline. « La phosphorylation est une réaction chimique au cours de laquelle un groupement phosphate est ajouté sur une molécule, ici une protéine, conduisant à son activation, explique Carmen Martinez. Nous nous sommes demandés si l’effet des vésicules extracellulaires reposait sur la présence de phosphatases, des enzymes capables de déphosphoryler et donc d’inactiver les protéines impliquées dans la réponse à l’insuline. » Le premier réflexe des chercheuses a été de rechercher PTP1B, une phosphatase déjà connue pour inhiber spécifiquement des processus déclenchés par l’insuline. Et en effet, PTP1B était fortement exprimée dans les grandes vésicules des patients insulinorésistants. En revanche, c’est une autre phosphatase, plus ubiquitaire, qu’elles ont mis en évidence dans les petites vésicules : PP2A.

Le processus dépendant des vésicules est probablement déterminant

« Nous souhaiterions maintenant étudier l’impact des vésicules sur un autre tissu absolument déterminant dans le développement de l’insulinorésistance, à savoir le muscle squelettique, gros consommateur du glucose lors des efforts », poursuit Carmen Martinez. Mais d’ores et déjà, on peut penser que les deux phosphatases identifiées pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeutiques. « Le fait que la simple injection de vésicules issues de patients insulinorésistants soit capable d’induire en quinze jours une insulinorésistance chez la souris montre bien que le mécanisme impliqué est puissant, et qu’il pourrait donc constituer une cible spécifique pour un médicament. » Cette information est d’autant plus intéressante qu’il existe déjà des inhibiteurs de PP2A en développement en cancérologie. Toutefois, « la PP2A présente l’inconvénient d’intervenir dans divers processus : il est donc probable que son inhibition conduise à des effets indésirables. Il serait sans doute plus pertinent de cibler PTP1B », conclut la scientifique.


Carmen Martinez dirige l’équipe Vésicules extracellulaires et pathologies métaboliques au sein de l’unité Physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles (PhyMedExp, unité 1046 Inserm/CNRS/Université de Montpellier) à Montpellier.


Source : S. Ali et coll. Circulating extracellular vesicle-carried PTP1B and PP2A phosphatases as regulators of insulin resistance. Diabetologia, 18 octobre 2024. DOI : 10.1007/s00125-024–06288‑0

Autrice : C. G.

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