Désinformation en santé : Peut-on lutter contre ?

Omniprésentes sur Internet et dans les médias, les informations fausses ou inexactes sur des thèmes de santé ont des conséquences négatives et potentiellement graves. Un sociologue, un neuroscientifique, ainsi qu’une spécialiste de la désinformation en santé nous confient leur point de vue sur la possibilité et l’intérêt de lutter contre ce phénomène.

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°62

Les informations trompeuses dans le domaine de la santé résultent souvent de négligences, de mauvaises interprétations, ou d’absences de scrupules en raison du besoin d’être lu, vu, de faire du buzz, du clic... Elles peuvent aussi être intentionnelles pour des motifs économiques, idéologiques, ou encore politiques. Les messages sensationnalistes qui créent la peur ou encore la méfiance sont en effet plus facilement relayés. Quelle qu’en soit la cause, le résultat peut avoir des conséquences sur la santé des individus, voire sur des groupes de personnes, en semant le doute sur des mesures de prévention, en les détournant de traitements recommandés, ou même en les invitant à des conduites à risque. Pour rétablir la vérité, des journalistes et des scientifiques effectuent du fact-checking, en vérifiant l’exactitude des faits énoncés publiquement, ou du debunking, qui consiste à montrer le caractère erroné des messages en les confrontant à la réalité des preuves scientifiques. Ces pratiques sont-elles efficaces ?

Laurent Cordonier : favoriser la diffusion d’une information de qualité

Il est possible de lutter contre la désinformation en santé en favorisant la diffusion d’une information de qualité, plutôt qu’en cherchant à lutter contre toutes les fausses rumeurs. La publication d’articles destinés à démythifier des messages trompeurs peut paradoxalement contribuer à en augmenter la visibilité et à leur donner de l’importance. Ce fut par exemple le cas pour le vaccin contre la Covid-19, accusé sur les réseaux sociaux de rendre les personnes vaccinées magnétiques, au point d’attirer des objets métalliques ! Cette infox a été démentie par de grands médias et, par la force des choses, partagée avec un plus grand nombre de Français. En outre, le travail de vérification qui consiste à opposer des preuves scientifiques sourcées à des informations trompeuses expose les chercheurs qui le font à des injures, voire à des menaces. La meilleure façon de lutter contre la désinformation serait donc d’en diminuer la visibilité sur les réseaux sociaux au profit d’une information fiable et validée. Le nouveau règlement européen entré en vigueur en 2024 – le Digital Services Act – vise à responsabiliser les plateformes numériques et pourrait servir de moyen de pression pour exiger des algorithmes mettant en avant des contenus de santé provenant de créateurs reconnus comme rigoureux, plutôt que d’autres invitant juste à cliquer. Les médias traditionnels (presse, radio, télévision) devraient, eux, faire preuve de plus de rigueur. Il leur arrive par exemple encore trop souvent de mettre en avant les thérapies alternatives, pourtant non reconnues et sans fondement scientifique. Contrairement à ce que l’on entend souvent, les Français ont confiance en la science et dans les organismes publics en matière de santé. Ces derniers pourraient peut-être aussi en faire plus pour informer le public.

Laurent Cordonier est directeur de la recherche de la Fondation Descartes et chercheur au Gemass (UMR 8598 CNRS/Sorbonne Université) à Paris.

Valentin Wyart : des biais cognitifs nous incitent parfois à croire à l’improbable

Si on se fonde sur les neurosciences, il semble difficile de lutter contre la désinformation. En effet, des biais cognitifs nous incitent parfois à croire à l’improbable, envers et contre tout. Mon équipe a contribué à mettre en évidence un processus cérébral qui crée une résistance aux informations contraires à nos opinions dans un contexte d’incertitude, c’est-à-dire lorsqu’une personne ne peut être sûre de la véracité des informations qui lui parviennent. Ce processus a été observé chez des patients atteints de psychose, mais aussi en population générale en utilisant une molécule appelée kétamine, qui inhibe un type particulier de récepteurs neuronaux et mime de façon transitoire les symptômes observés dans les stades précoces de psychose. En théorie, le cerveau intègre des informations incertaines en les classant selon leur niveau de crédibilité. Mais sous kétamine, il se met à ignorer les informations contraires à nos opinions car il les juge d’emblée trop improbables. Le cerveau agit alors comme un filtre : il ne retient que ce qui va dans le sens de l’opinion déjà formée et rejette tout le reste. Ces observations ont été faites en laboratoire, et nous étudions actuellement les contextes en « vie réelle » dans lesquels ce filtre pourrait se mettre en place. Nous regardons notamment comment des situations anxiogènes pourraient le déclencher. Ce travail est indispensable pour comprendre comment certains individus passent d’un état de doute à une certitude absolue, par exemple quand ils se mettent à adhérer à des thèses farfelues ou tombent dans le complotisme. En comprenant les situations qui déclenchent l’apparition de ce filtre, il deviendra peut-être possible de mettre au point des thérapies cognitivo-comportementales, qui améliorent les schémas de pensée et les comportements, pour l’éviter.

Valentin Wyart est chef d’équipe Inserm au Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (unité 906 Inserm/ENS) à Paris.

Léa Surugue : déconstruire les fausses infos

Je crois à l’importance de la lutte contre la désinformation et nous développons d’ailleurs des outils qui vont dans ce sens à l’Inserm. Avec la série Canal Détox, nous publions des articles pour déconstruire des fausses infos sur des sujets d’actualité propices à des rumeurs : le jeûne en cas de cancer, le collagène pour rajeunir sa peau ou ses articulations… Il est d’important d’effectuer ce travail pour contrebalancer des mensonges largement diffusés sur Internet ou dans les médias, surtout s’ils représentent une menace pour la santé des individus. Une centaine de chercheurs Inserm se sont portés volontaires pour mettre leur expertise à disposition et contribuer à cette tâche. Il n’est pas toujours facile d’évaluer l’efficacité de notre démarche et du debunking en général, mais nous pensons qu’un public ouvert aux échanges et curieux sera sensible à une information sourcée et de qualité. En revanche, il sera difficile de convaincre des personnes qui rejettent la science en bloc ou ont des idées complotistes car elles nient d’emblée tout message officiel. Pour prévenir ces dérives, un travail de fond est nécessaire afin de développer l’esprit critique dès le stade de l’école. Il faut aussi réussir à aller à la rencontre d’un public moins intéressé par la science. Pour cela, nous déclinons nos articles sous des formats variés : bandes dessinées, vidéos diffusées sur Instagram, ou encore grâce à des partenariats, par exemple avec Thibsciences, un docteur en santé public vulgarisateur de science sur les réseaux sociaux. L’Inserm a été précurseur dans la démarche de fact-checking mais beaucoup d’autres acteurs publics ou privés s’y sont mis, associant scientifiques et journalistes. Tous ensemble, nous allons progressivement gagner en efficacité.

Léa Surugue, membre du service presse de l’Inserm, est responsable de la série Canal Détox.

Propos recueillis par : A.R.