Comment le stress psychologique provoque-t-il des troubles digestifs ?

À Nantes, une équipe Inserm vient de montrer que le cortisol, une hormone qui participe notamment à la gestion du stress, agit directement sur la plasticité du système nerveux intestinal. Ce phénomène serait à l’origine de modifications de la contractilité des muscles intestinaux et de troubles du transit.

Diarrhées, constipations, douleurs abdominales... : si le stress psychologique est connu pour favoriser ces troubles digestifs, les mécanismes sous-jacents ne sont pas parfaitement compris. Jusqu’ici le rôle du cortisol, « l’hormone du stress », a très peu été étudié. Pourtant, il pourrait être important. On sait en effet que les personnes traitées de façon chronique par administration de cortisol – parce qu’elles n’en produisent plus ou pas assez, par exemple en raison d’une maladie d’Addison ou après l’ablation d’une glande surrénale – peuvent souffrir de troubles digestifs lorsque leur traitement est mal équilibré. À Nantes, Michel Neunlist et Kalyane Bach-Ngohou ont donc décidé de se pencher sur les relations entre stress, cortisol et troubles digestifs, dans le modèle expérimental de la souris. Leur travail est le premier à suggérer que le cortisol influence directement les neurones qui composent le système nerveux entérique, un tissu indépendant du système nerveux central, distribué tout le long du tube digestif, qui régule les fonctions gastro-intestinales.

Pour provoquer un stress et en mesurer l’incidence sur le système digestif des souris, les chercheurs ont d’abord placé des animaux pendant une heure sur une plateforme flottant sur l’eau. Ils ont constaté que la quantité de selles émises par ces souris était plus élevée que celle émise par leurs homologues restées en cage. Ils ont ensuite prélevé des échantillons du système nerveux entérique chez les animaux des deux groupes : le tissu des souris qui avaient été stressées comportait davantage de neurones producteurs d’acétylcholine (neurones cholinergiques), connus pour faciliter la contraction intestinale. « Afin de confirmer que les troubles digestifs des souris étaient liés à ces neurones, nous avons soumis des prélèvements de muscles coliques à des courants électriques, explique Kalyane Bach-Ngohou. La contractilité des échantillons issus de souris stressées était effectivement plus forte. »

Une modification de l’expression génétique

Les chercheurs se sont ensuite penchés sur les mécanismes cellulaires à l’œuvre. Ils ont montré que la corticostérone – l’homologue du cortisol chez la souris – est impliquée dans ces phénomènes : « Nous avons découvert que le récepteur de l’hormone, nommé GR, est présent dans les neurones cholinergiques du système nerveux entérique, aussi bien chez les souris témoins que chez celles qui avaient été stressées », souligne Kalyane Bach-Ngohou. Avec une différence cependant : « En situation normale, le récepteur GR est principalement localisé dans le cytoplasme des cellules. En situation de stress, la corticostérone se fixe au GR et le couple GR-corticostérone migre dans le noyau de la cellule où il active la transcription de différents gènes, poursuit la chercheuse. Nous avons montré que ce processus est associé à une augmentation de la proportion de neurones qui synthétisent l’acétylcholine dans le système nerveux entérique. Cela conduit à une augmentation de la transmission cholinergique neuromusculaire, elle-même probablement à l’origine de l’accélération du transit colique observée chez les animaux stressés. » D’autre part, les chercheurs ont montré que l’utilisation d’un antagoniste spécifique du récepteur GR diminue l’émission de selles sous l’effet du stress.

L’équipe poursuit ses travaux pour déterminer la nature et la fonction des gènes ciblés par le couple GR-corticostérone dans les neurones entériques, probablement impliqués dans les manifestations intestinales. « Déterminer la nature et la fonction de ces gènes pourrait nous amener à identifier de nouvelles cibles thérapeutiques et conduire à de nouvelles solutions pour soulager les personnes traitées par cortisol qui souffrent de troubles digestifs, liés à la difficulté à mimer pharmacologiquement les variations circadiennes du cortisol naturel, note Kalyane Bach-Ngohou. Et ces médicaments pourraient être proposés à ceux qui souffrent du syndrome de l’intestin irritable ou dans d’autres pathologies associées à des taux de cortisol élevé et des troubles digestifs : maladies psychiatriques, inflammatoires, ou nutritionnelles… ».


Kalyane Bach-Ngohou est chercheuse dans l’unité de recherche Système nerveux entérique dans les maladies digestives et du cerveau (unité 1235 Inserm/Nantes Université) dirigée par Michel Neunlist, à Nantes.


Source : J. Blin et coll. Psychological stress induces an increase in cholinergic enteric neuromuscular pathways mediated by glucocorticoid receptors. Front Neurosci, 14 février 2023 ; DOI:10.3389/fnins.2023.1100473

Auteur : C. G.

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Coupe de tissu intestinal © CIML/Inserm/CNRS/Lelouard, Hugues/Fallet, Mathieu/Mailfert, Sébastien