COLLAMOEBOID : Analyser le déplacement des cellules cancéreuses pour en freiner l’invasion

À l’Institut Gustave Roussy (unité Inserm 1279 / Université Paris-Saclay / Gustave Roussy), Fanny Jaulin, directrice de recherche à l’Inserm, étudie le cancer colorectal, qui touche le colon et le rectum. Avec son équipe, elle a récemment découvert un nouveau mode de migration des cellules cancéreuses et cherche à mieux le décortiquer afin d’ouvrir la voie à de nouvelles cibles thérapeutiques : c’est l’enjeu du projet COLLAMOEBOID, subventionné par l’Agence nationale de la recherche.

Pour InScience, le festival de culture scientifique de l’Inserm, découvrez le parcours et les travaux d’une chercheuse passionnée, qui œuvre pour mieux soigner les patients, aujourd’hui et à l’avenir.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Fanny Jaulin : J’ai effectué ma thèse de science à Marseille, à l’Institut Paoli-Calmette au début des années 2000, puis je suis partie faire mes études postdoctorales à New York (États-Unis), au sein de deux instituts, le Cornell Medical College, puis le Memorial Sloan-Kettering, où je me suis spécialisée en biologie cellulaire. 

Je suis ensuite revenue en France grâce au programme Atip–Avenir en 2012 : un programme commun entre l’Inserm et le CNRS qui donne à de jeunes chercheurs l’opportunité de créer une équipe avec une nouvelle thématique. J’ai officiellement été recrutée en tant que chercheuse à l’Inserm en 2016, mais cela fait plus de dix ans que je dirige mon propre laboratoire à l’Institut Gustave Roussy.

Pouvez-vous nous parler de votre projet « COLLAMOEBOID » ?

F. J. : Tout au long de la vie d’un individu, des cellules se déplacent au sein de l’organisme. Elles le font par exemple pour patrouiller à la recherche d’agents pathogènes à éliminer ou pour cicatriser des blessures. Malheureusement, cette capacité à migrer peut se retourner aussi contre l’organisme et favoriser la progression invasive des cancers. Des groupes de cellules cancéreuses vont quitter l’organe dans lequel elles sont nées et rejoindre les autres organes où elles vont former des métastases, la principale cause de mortalité des patients atteints de cancer. Mieux connaître la façon dont ces cellules se déplacent est donc primordial pour pouvoir freiner la dissémination des cancers.

Grâce à des échantillons de patients atteints de cancers colorectaux, nous avons identifié des cellules tumorales avec des propriétés migratoires qui n’avaient jamais été observées auparavant, dans les modèles expérimentaux. Nous avons reçu un financement de l’Agence nationale de la recherche pour mieux comprendre ce phénomène : c’est tout l’objectif de COLLAMOEBOID.

Pour se déplacer, les cellules peuvent utiliser leur environnement, et le tissu qu’elles traversent, pour se tracter, c’est la migration mésenchymale. Elles peuvent également se propulser, en se contractant vers l’arrière, de manière indépendante de leur environnement : c’est la migration amiboïde. Pour la migration collective de plusieurs cellules, seule la migration mésenchymale semblait exister. Mais nous avons démontré que des groupes de cellules tumorales sont également capables de se déplacer sans adhésion, et donc de manière indépendante des tissus qu’elles vont traverser. 

Nous avons appelé ce phénomène « migration collective amiboïde ». Cela leur permet notamment d’échapper aux cellules immunitaires, et de traverses des tissus très différents, ce qui représente un avantage pour ces cellules tumorales. Décortiquer et analyser ces modalités de déplacement représente ainsi pour nous un enjeu majeur !

©David Chénière

Quelles pourraient être les applications thérapeutiques découlant de vos résultats ?

F. J. : Pour l’instant, les essais thérapeutiques ciblant l’invasion cancéreuse et la dissémination métastatique ont tous été des échecs, quel que soit le cancer traité. Selon nos découvertes, notre hypothèse est que l’on se trompe de cible en se focalisant sur la migration individuelle. Mieux connaître la migration collective amiboïde devrait à terme nous permettre de trouver le meilleur angle d’attaque pour la freiner et empêcher l’invasion cancéreuse.

Vous semblez passionnée. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier de chercheuse ?

F. J. : Avant tout, la biologie, c’est ce qui me passionne depuis longtemps, depuis l’université. Je trouve que c’est satisfaisant de comprendre les mécanismes de la vie et de pouvoir agir positivement pour la société. Je souhaite que mes travaux aient un impact sur la prise en charge des patients, grâce à de nouveaux traitements, mais également à plus court terme. C’est pour cela que nous travaillons avec des médecins au déploiement d’un programme pour faire des tests sur les cellules tumorales de patients et orienter leur traitement. 

Ce qui me motive aussi tous les jours, c’est d’animer un groupe de collaborateurs aux compétences complémentaires, que ce soit mon équipe, où il y a énormément de chercheurs incroyables, mais j’ai aussi tissé des liens assez étroits avec des médecins et des biophysiciens avec lesquels nous travaillons étroitement !