C’est mécanique ! La chromatine régule la force d’adhésion des cellules

Dans le noyau des cellules, l’ADN des chromosomes est associé à des protéines pour former une structure plus ou moins compacte : la chromatine. Une récente étude décrit que l’organisation de cette dernière module la force d’adhésion d’une cellule à son environnement. Cette découverte ouvre des nouvelles perspectives sur le développement des biomatériaux.

Les cellules sondent sans cesse leur environnement immédiat, qu’il s’agisse d’autres cellules, de fluides ou de dispositifs médicaux (biomatériaux, prothèses, implants...). Sous l’effet d’une compression, d’une traction ou de frottements, elles adaptent leur morphologie, migrent ou adhérent… L’influence de ces forces externes sur le destin de la cellule fait l’objet d’une recherche active qui a notamment permis de montrer que les signaux mécaniques se propagent dans la cellule par des connecteurs physiques. Morgane Rabineau, ingénieure de recherche Inserm au laboratoire Biomatériaux et bioingénierie, à Strasbourg, explique : « Ce phénomène est appelé mécanotransduction : il implique des composants cellulaires comme le cytosquelette, qui se relaient pour conduire l’information mécanique reçue de l’extérieur jusqu’à la chromatine. » Cette structure nucléaire, au sein de laquelle l’ADN est empaqueté, est un point central de la régulation de l’expression des gènes (voir encadré). « Elle joue aussi un rôle central au cours de la mécanotransduction, puisqu’elle va se réorganiser sous l’influence des signaux reçus et conduire à des changements d’activités cellulaires, comme l’adhésion. Nous avons par exemple déjà décrit qu’une cellule soumise à un stress mécanique important se recroqueville et subit une perte d’adhésion après que sa chromatine se soit compactée. » Mais jusqu’à présent les chercheurs ne s’étaient pas penchés sur la façon dont ce processus inverse se déroule. « Or, la restructuration de la chromatine induit elle-même des forces mécaniques au sein du noyau. Nous avons donc voulu savoir si, en se transmettant à leur tour aux autres connecteurs, ces forces conduisaient elles-mêmes à des changements cellulaires. »

Un relai mécanique de la chromatine à la surface de la cellule

Julie Buisson, doctorante dans le même laboratoire, a dans ce but étudié s’il était possible de moduler le comportement des cellules en jouant uniquement sur la compaction/décompaction de la chromatine. Elle a pour cela collaboré avec l’équipe suisse de Tomaso Zambelli, développeur d’un microscope à force fluidique (FluidFM) qui permet de caractériser la force d’adhérence des cellules. Dans un premier temps, Julie Buisson a utilisé des composés “compacteurs” de la chromatine, a effet réversible. « Lorsque la cellule y est exposée, son volume nucléaire diminue et son cytosquelette se modifie. Elle finit par se recroqueviller et adhère moins à son environnement », explique Morgane Rabineau. Mais lorsque la cellule n’est plus en présence du compacteur, la chromatine se décompacte : la cellule retrouve alors sa forme d’origine et son adhésion redevient normale. « Et bloquer simultanément l’expression génétique ne modifie pas ce processus d’adhésion, insiste la scientifique. Cela veut dire que la cellule ne synthétise pas de nouvelles protéines : elle utilise les protéines déjà présentes pour restaurer les assemblages structurels nécessaires à l’adhésion. La cascade est bien un relai mécanique qui va de la chromatine jusqu’à la surface de la cellule. Nous avons qualifié ce phénomène de “ mécanotransduction inverse ”. »

Image de cellules en culture in vitro, obtenue par microscopie à fluorescence.
Les cellules adhèrent à leur environnement grâce au modelage de la chromatine et les relais mécaniques (en bleu : la chromatine, en rouge : le cytosquelette, en vert : les protéines d’adhésion ) © Morgane Rabineau/Unité Inserm 1121

La chromatine constitue donc un composant mécanique central qui régule le comportement des cellules. Dès lors, « il devient possible d’imaginer la manipuler pour améliorer l’adhésion et le comportement des cellules dans leur environnement », se félicite Morgane Rabineau. Une nouvelle approche qui offre d’intéressantes perspectives aux équipes qui travaillent à l’ingénierie tissulaire et au développement de biomatériaux.


La chromatine, un système de compactage et de régulation de l’expression génétique

Pour faire tenir les deux mètres d’ADN de nos 46 chromosomes dans le noyau d’une cellule qui mesure 10 à 100 µm de diamètre, un compactage s’impose ! La molécule d’ADN s’enroule d’abord régulièrement autour de complexes formés par des protéines nommées histones. Puis, les structures ainsi constituées, les nucléosomes, s’enroulent sur elles-mêmes de manière plus ou moins « serrée », pour former des fibres de chromatine plus ou moins denses. Lorsque la chromatine est très dense (hétérochromatine, compactage élevé de l’ADN), les gènes ne sont pas accessibles et donc pas exprimés. Les zones de la chromatine peu condensée (euchromatine) sont en revanche accessibles aux complexes enzymatiques qui permettent l’expression des gènes.


Morgane Rabineau et Julie Buisson travaillent dans le laboratoire Biomatériaux et bioingénierie, au Centre de recherche en biomédecine (unité 1121 Inserm/Université de Strasbourg), à Strasbourg.

Tomaso Zambelli est chercheur au Laboratoire de biocapteurs et de bioélectronique de l’Institut de génie biomédical, à l’Eidgenössische Technische Hochschule (ETH) de Zurich, en Suisse.


Source : J Buisson et coll. Reverse mechanotransduction : driving chromatin compaction to decompaction increases cell adhesion strength and contractility. Nano Lett. 10 avril 2024 ; doi : 10.1021/acs.nanolett.4c00732.

Autrice : C. G.

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Image de cellules observées en microscopie
L'ADN est la molécule de l'hérédité qui forme les chromosomes et qui contient l'ensemble des gènes. Chaque gène est un bout d'ADN qui contient, sous forme codée, toute l'information relative à la vie d'un organisme vivant.