Les médicaments antiviraux pourraient contribuer à juguler une future pandémie

Des chercheurs franciliens ont développé un modèle mathématique qui montre que les antiviraux destinés au traitement des infections respiratoires peuvent aider à casser la dynamique de propagation des virus au sein d’un foyer. Selon la situation, ces molécules doivent être administrées aux personnes infectées et/ou à leurs proches.

En dépit de leur efficacité, les médicaments antiviraux qui ciblent les virus respiratoires tels que ceux de la grippe ou de la Covid-19 restent assez peu utilisés. Par crainte d’interactions médicamenteuses et d’émergence de résistances, leur usage reste majoritairement cantonné – en particulier en France – aux hôpitaux et aux patients les plus à risque de développer des formes sévères de ces infections.

« On sait que ces molécules sont d’autant plus efficaces pour réduire la sévérité de l’infection qu’elles sont administrées tôt au cours de la maladie. Néanmoins on ne connaît pas très bien leur intérêt quand on les administre plus tard ou, a contrario, avant même l’infection, de manière préventive », commente Jérémie Guedj, chercheur Inserm spécialisé dans la modélisation des dynamiques virales. Par ailleurs, on comprend encore mal le potentiel de ces médicaments comme outil de prévention de la transmission virale. « Au cours de la pandémie de Covid-19, isoler était tout ce qu’on avait pour éviter la transmission entre personnes, mais on sait que cela a pu avoir des conséquences parfois dramatiques. Maintenant que la pandémie est derrière nous, il s’agit de se préparer à l’éventualité d’un nouveau virus respiratoire émergent. » Mieux comprendre le potentiel de ces médicaments, non seulement comme traitement mais aussi pour réduire la transmission, est donc un enjeu important.

Traiter les membres du foyer plutôt qu’isoler ?

C’est pourquoi Hind Zaaraoui s’est attelée à la modélisation des effets de différentes stratégies de traitement antiviral. Sous la direction de Jérémie Guedj et de Lulla Opatowski, spécialiste de la modélisation de la transmission des agents infectieux, la post-doctorante a travaillé sur un modèle mathématique qui permet de reproduire l’effet d’un traitement antiviral sur la charge virale et la probabilité de transmission du virus au sein d’une petite population, au cours du temps. Le modèle a été appliqué à l’étude des dynamiques de propagation virales au sein d’un foyer domestique, l’un des épicentres importants de la transmission en communauté. Ce travail a permis de dresser plusieurs constats : « Lorsqu’une personne infectée peut être mise sous traitement avant même qu’elle ait développé des symptômes, il est possible de réduire la transmission et la charge virales de plus de 75 %, quel que soit le niveau de contagiosité du virus. Dans ce cas, il y a très peu d’intérêt à traiter préventivement les autres habitants du foyer », résume Jérémie Guedj.

En revanche, si la première personne infectée du foyer est diagnostiquée et traitée après l’apparition des symptômes, l’antiviral n’a que peu d’effet sur la transmission : il devient alors pertinent de traiter préventivement l’ensemble des personnes qui y logent. Et dans ce cas, il apparaît que l’efficacité de cette stratégie sera dépendante des caractéristiques du virus considéré : « Avec le SARS-CoV‑2 ou le virus de la grippe, les symptômes et le pic de charge virale surviennent simultanément, il est donc plus difficile de bloquer la chaîne de transmission du virus », reconnaît Jérémie Guedj. Un traitement prophylactique pourrait néanmoins réduire les risques de transmission de 30 à 50 % en fonction de la contagiosité du virus. « En revanche, avec un virus comme le VRS [virus respiratoire syncytial, responsable de la bronchiolite chez les nourrissons], les symptômes apparaissent avant le pic de charge virale, une caractéristique qui pourrait augmenter le succès d’une prévention de la transmission par traitement antiviral. »

Une première preuve de concept prévue en maison de retraite

« Notre modèle suggère qu’il existe une alternative efficace à l’isolement comme stratégie d’endiguement d’une épidémie », résume le chercheur. Face à une nouvelle pandémie, ce travail devrait permettre d’établir rapidement quelles modalités thérapeutiques seront les plus intéressantes à évaluer dans le cadre d’essais cliniques en vie réelle. Si des traitements antiviraux adaptés sont disponibles, il y aurait intérêt à traiter tôt une personne malade au sein d’un foyer, même si l’efficacité clinique des médicaments n’est que limitée. Si cette personne est symptomatique, il faudra peut-être aussi traiter les personnes contacts, qu’elles soient déjà infectées ou non. 

Pour l’heure, les chercheurs souhaitent appliquer leur modèle aux épidémies qui surviennent dans des maisons de retraite, par exemple au cours d’une saison hivernale, lorsque la circulation du virus de la grippe cause de nombreux décès. « De telles études aideraient à confirmer la robustesse de notre modèle et l’efficacité des traitements antiviraux dans ce contexte, non seulement pour réduire la mortalité, mais aussi la transmission de la maladie. Néanmoins, il est plus facile de monter des études cliniques dans les hôpitaux qu’en maison de retraite, car cela demande une forte coordination des personnels qui ne sont pas nécessairement formés à la recherche clinique, souligne Jérémie Guedj. Il faut donc mobiliser les pouvoirs publics, les médecins généralistes, les autres professions de santé et les établissements médicosociaux pour qu’il soit possible d’être plus agiles et pragmatiques dans la mise en place rapide d’essais cliniques. »


Jérémie Guedj dirige l’équipe Modélisation et investigation clinique dans les maladies infectieuses dans l’unité Infection antimicrobiens modélisation évolution (IAME, unité 1137 Inserm/ Université Paris Cité), à Paris. Lulla Opatowski dirige le groupe de modélisation au sein de l’équipe Échappement aux anti-infectieux et pharmacoépidémiologie, au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP, unité 1018 Inserm/Université Versailles Saint-Quentin).


Source : H. Zaaraoui et coll. Modelling the effectiveness of antiviral treatment strategies to prevent household transmission of acute respiratory viruses. PLoS Comput Biol. 5 décembre 2024 ; doi :10.1371/journal.pcbi.1012573

Autrice : C. G.

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