Quand l’impression 3D répare le vivant

Bien qu’il faille manier avec précaution le terme de « révolution », les progrès faramineux en matière de bio-impression laissent entrevoir des perspectives encore inimaginables il y a quelques décennies, ouvrant un champ des possibles inédit en matière de médecine régénérative. Et si un jour nous parvenions à imprimer en 3D, à partir de nos cellules, de véritables organes qui soient fonctionnels ? 

Cet article est la retranscription de l’émission « Eurêka » diffusée sur l’antenne de RCF Alsace le 16 janvier 2025, en partenariat avec la Délégation régionale Inserm Est. Cet épisode est réécoutable en cliquant ici.

Avez-vous déjà entendu parler d’implants dentaires, de prothèses, de broches, de valves cardiaques ou encore de greffes ? Peu de chances que votre réponse soit négative… et pour cause : tous ces dispositifs se sont largement démocratisés ces dernières décennies, pour soigner, remédier à des dysfonctionnements ou des malformations, soulager des douleurs, bref, pour réparer notre corps. On appelle ces éléments des biomatériaux car il s’agit de matériaux utilisés à des fins médicales pour réparer ou remplacer une partie ou fonction d’un organe ou d’un tissu.

La liste d’exemples citée en préambule le suggère, les biomatériaux sont aujourd’hui utilisés dans de nombreux domaines thérapeutiques et doivent pouvoir supporter les contraintes et pressions exercées par l’environnement de leur implantation (des millions d’ouvertures et fermetures pour une valve cardiaque, le poids du corps pour des prothèses du genou...). Ces biomatériaux peuvent être synthétiques ou vivants, et force est de constater que les progrès effectués dans ce champ sont faramineux depuis quelques années. 

Les biomatériaux entièrement synthétiques sont constitués la plupart du temps de métaux, comme l’acier inoxydable ou le titane (pensez par exemple aux prothèses de hanche ou aux broches), ou bien de polymères tels que des plastiques, des résines ou des hydrogels servant par exemple à la fabrication des lentilles de contact. Les chercheurs développent également des biomatériaux à partir de matériaux d’origine naturelle, comme le corail ou la cellulose.

Les biomatériaux vivants eux font référence – vous l’aurez deviné – à des tissus ou des organes vivants. La “fabrication” de tissus cutanés (à partir de cellules du patient à traiter) est utilisée dans la prise en charge des grands brûlés depuis les années 1980/90 par exemple. 

Toutefois, les cellules ont une capacité de réorganisation dans l’espace limitée, d’où parfois la nécessité de faciliter ce travail de réassemblage en les disposant selon des positions définies dans le cadre d’un biomatériaux hybride, alliant matériel synthétique et matériel vivant. On utilise par exemple des polymères qui font office d’échafaudages pour les cellules, qui vont petit à petit coloniser ce matériau et ainsi réparer le tissu souhaité.

Surtout, le recours à l’impression 3D à des fins médicales est croissant. L’impression 3D permet de produire des pièces en série ou même sur-mesure, qui sont dans ce cas spécifiquement adaptées à l’anatomie du patient qui aura été préalablement scrutée via des techniques d’imageries médicales comme l’IRM. En 2013, une jeune femme néerlandaise recevait ainsi une prothèse de crâne imprimée en 3D !

Des organes imprimés en 3D à partir de cellules ?

Cela peut paraître fou, et cela ne s’arrête pas là : les chercheurs planchent depuis une poignée d’années sur des techniques de bio-impression, c’est-à-dire l’impression 3D de tissu avec une encre faite non plus de matériaux synthétiques, mais bel et bien de cellules vivantes ! Imaginez-vous une petite pointe qui, couche par couche, reproduit minutieusement des structures complexes telles que des vaisseaux sanguins à partir de cellules vivantes, qu’elle empile comme de l’encre sur une feuille. Peut-on vraiment espérer demain reproduire des organes à l’aide de cette technologie 3D ? 

Des chercheurs s’attèlent depuis quelques années à mettre au point des procédés rendant possible la bio-impression pour réparer le corps. A Strasbourg, c’est par exemple le cas d’Adrien Rousselle, qui ne se prédestinait pas à la recherche, jusqu’à effectuer sa thèse au sein de l’unité Inserm « Biomatériaux & Bioingénierie », affiliée également au CNRS et à l’Université de Strasbourg. Durant celle-ci, Adrien a travaillé à améliorer les procédés de bio-impression dite « par extrusion », l’une des méthodes existantes. 

Nous l’avons vu, la bio-impression fonctionne selon un principe similaire à l’impression 3D classique, à la différence près qu’on troque le fil de plastique par un fil d’hydrogel qui contient des cellules vivantes ; ces filaments sont ensuite superposés pour créer une structure. Les hydrogels sont des matériaux fortement concentrés en eau et dont les propriétés physiques proches de celles des tissus humains miment l’environnement naturel des cellules. L’hydrogel permet ainsi de structurer cette superposition de couches de cellules, puis se dissout ensuite pour laisser les cellules fusionner et proliférer.

Image de microscopie montrant des microparticules de PLGA, un polymère très utilisé dans des dispositifs thérapeutiques (en gris), sur lesquelles prolifèrent des cellules HCS 2/8 (en bleu).
Cette image de microscopie électronique à balayage met en évidence des microparticules de PLGA, un polymère très utilisé dans des dispositifs thérapeutiques en raison de sa biocompatibilité et sa biodégradabilité (en gris), et des cellules HCS 2/8 (en bleu). ©Eric Mathieu – BioMat U1121

Mais bien avant d’arriver au stade de la prolifération, se dressent deux difficultés majeures. D’abord, la bio-impression est très gourmande en cellules ; en réunir un nombre suffisamment conséquent est très long et très coûteux. En effet, les cellules nécessaires sont prélevées chez le patient puis cultivées en laboratoire jusqu’à en obtenir assez pour procéder à l’impression – pour vous donner une idée, on parle ici de quelques millions à plusieurs milliards… par millilitre ! 

Lorsque cette première difficulté est surmontée, les cellules doivent ensuite passer l’étape de la bio-impression en tant que telle. Nos petites cellules sont aussi précieuses que fragiles… Or, leur passage par la minuscule pointe conique qui procède à la bio-impression exerce une forte pression sur les elles, ce qui en endommage bon nombre, au point qu’à peine la moitié des cellules sont viables suite à cette étape fatidique. L’enjeu était donc de protéger au mieux les cellules, afin qu’elles demeurent intactes et aptes à adhérer au tissu puis proliférer. 

L’inventivité pour améliorer les procédés existants

Adrien et ses collègues ont ainsi mis au point des microparticules absorbant la pression que subissent les cellules au moment de la bio-impression, et améliorant significativement la survie cellulaire. Autrement dit, cette solution vise à littéralement encapsuler les cellules dans des microparticules biocompatibles, qui vont faire office de cocon protecteur le temps de la bio-impression mais également favoriser la prolifération cellulaire par la suite. L’amélioration de la viabilité des cellules dans ces conditions est tout à fait notable.

La Professeure Isabelle Talon, qui exerce dans le même laboratoire qu’Adrien, travaille sur la hernie diaphragmatique. Présente dès la naissance, cette malformation rare et dramatique chez l’enfant a pour conséquence l’ascension des viscères abdominaux dans le thorax, entraînant la compression des poumons. Adrien planche avec elle sur la mise au point d’une prothèse plus adaptée à celle en vigueur jusqu’alors faute de mieux, qui pose nombre de complications au cours de la croissance et une fois adulte puisqu’elle devient bien trop petite. Leur objectif : que la prothèse diaphragmatique grandisse avec l’enfant !

Pour permettre une étirabilité du matériau s’adaptant à la croissance de l’enfant tout en conservant une bonne résistance mécanique, Isabelle et son équipe mettent au point des membranes élastiques innovantes et souhaitent à terme confectionner ce matériau à partir de cellules de l’enfant avant même sa naissance. Les premiers résultats sur l’animal sont prometteurs et esquissent un avenir thérapeutique bien plus viable. 

A travers son implication dans différents projets de recherche comme celui-ci, Adrien cherche à atteindre les paramètres optimaux pour permettre la survie des cellules ainsi que leur prolifération de manière ordonnée. 

Un horizon qui se dessine de plus en plus finement

Désormais, Adrien Rousselle troque sa casquette de chercheur par celle d’entrepreneur. C’est d’ailleurs une des spécificités du laboratoire auquel il est rattaché, dont le directeur Philippe Lavalle, chercheur Inserm, encourage ses jeunes pépites à transformer le fruit de leurs recherches fondamentales en applications concrètes. Cela passe notamment par des levées de fonds pour perfectionner la technologie, mener des essais cliniques et espérer arriver au chevet du patient. Adrien travaille actuellement à la mise en place d’un brevet pour les microparticules qu’il a développées, et au montage de sa startup, Meteor Bioprinting, en lien avec la SATT Conectus, spécialisée dans le transfert de technologies issues de la recherche publique. Son récent succès au concours i‑PhD organisé par l’État et BPI France est un atout supplémentaire pour atteindre son objectif : rendre la bio-impression accessible, en termes de coût et de temps, aux laboratoires et aux hôpitaux.

Il faut dire que les enjeux sont majeurs au regard des nombreuses applications qu’on projette pour la bio-impression. Nous l’avons bien compris, cette technologie pourra être utilisée pour de la médecine dite « régénérative », visant à réparer et régénérer des tissus et organes. Mais au-delà des applications cliniques, ce procédé de fabrication pourrait aussi servir à tester des médicaments en laboratoire et développer de nouveaux modèles expérimentaux indispensables à la recherche comme les organoïdes, ces simulacres d’organes miniatures recréés en laboratoire. 

Sans minimiser la véritable révolution médicale que la bio-impression augure, le chemin reste encore long. A la question « Parvient-on aujourd’hui à créer des organes fonctionnels via la bio-impression ? », la réponse est non. L’imitation de l’aspect et de la complexité des organes est très convaincante, mais les chercheurs ne parviennent pour l’heure pas à vasculariser un organe bio-imprimé, c’est-à-dire à le raccorder à l’ensemble des vaisseaux sanguins de sorte à ce qu’il soit irrigué. Toute la complexité réside donc dans les interactions et les connexions avec l’organisme, qui reste le chef d’orchestre. Et puis bien sûr, à un horizon plus lointain, se poseront des questions en matière de cadre juridique et réglementaire, entraînant sans doute un débat à l’échelle de la société.