Infections nosocomiales

Ces microbes qu’on « attrape » à l’hôpital

Environ 6 % des patients qui séjournent à l’hôpital contractent une infection au sein de l’établissement. Le risque varie selon le profil du patient, les soins pratiqués ou le niveau de respect des mesures de prévention. Les germes les plus souvent incriminés sont des bactéries, mais l’épidémie de Covid-19 a mis en lumière les risques associés aux virus respiratoires. Seule une recherche multidisciplinaire peut aider à améliorer la compréhension et la lutte contre ces infections.

Dossier réalisé en collaboration avec Solen Kernéis, cheffe du service de Prévention du risque infectieux, Hôpitaux Bichat-Beaujon-Bretonneau, APHP Nord et Université Paris Cité, unité Inserm 1137 (IAME), Paris.

Comprendre les infections nosocomiales

Qu’est-ce qu’une infection nosocomiale ?

Une infection nosocomiale fait partie des infections associées aux soins : elle est contractée au cours ou au décours d’une hospitalisation. Elle est donc absente au moment où le patient est admis dans l’établissement et se déclare au minimum 48 heures après l’admission (ou au-delà si la période d’incubation du microbe incriminé est connue et plus longue). L’origine nosocomiale d’une infection est suspectée dès lors qu’un patient développe des symptômes évocateurs d’une pathologie autre que celle pour laquelle il est hospitalisé. Pour les infections de site opératoire (endroit du corps où une intervention chirurgicale est pratiquée), le délai de survenue d’une infection nosocomiale court jusqu’à 30 jours après l’intervention, même si le patient est sorti de l’hôpital. En cas de mise en place d’une prothèse ou d’un implant, ce délai est d’un an après l’intervention.

Durant une hospitalisation, il existe aussi un risque de colonisation par une bactérie multi- ou hautement résistante aux antibiotiques, sans développement de symptôme. Le patient devient porteur d’une bactérie qu’il pourra transmettre. Bien que cela soit rare, il est aussi possible que ce patient développe une véritable infection liée à cette bactérie résistante, plus difficile à traiter.

Les mesures de prévention mises en œuvre dans les établissements de santé visent à diminuer le risque global d’infection nosocomiale, symptomatique ou asymptomatique.

Plus d’un patient hospitalisé sur vingt est concerné

L’enquête nationale de prévalence (ENP), conduite par Santé publique France tous les cinq ans, rend compte de l’évolution de la maîtrise des infections nosocomiales et de l’usage des antiinfectieux dans les établissements de santé français : la dernière enquête en date montre que le taux de patients qui ont contracté une infection lors d’une hospitalisation en 2022 était de 5,71 %.


Une prévalence bouleversée par le SARS-CoV2

Ce chiffre est en augmentation par rapport à l’enquête précédente (ENP 2017), la moitié étant due aux infections nosocomiales par le coronavirus SARS-CoV‑2. En excluant ces cas, le taux de patients concernés par une infection nosocomiale était de 5,35 %, un chiffre un peu supérieur à celui estimé en 2017 (4,98 %).

Cette dynamique légèrement à la hausse fait suite à une baisse régulière du nombre de patients infectés à l’hôpital entre 2001 et 2012, grâce aux programmes de prévention. Elle s’explique par la pandémie de Covid-19 qui a conduit à une désorganisation globale des soins au sein des établissements de santé entre 2020 et 2022. Depuis, un phénomène psychosocial a été décrit chez les soignants, en France comme à étranger : la « fatigue pandémique », un sentiment de lassitude ressentie par ces professionnels devant une urgence sanitaire devenue permanente. Renforcée par les tensions en ressources humaines au sein des établissements de santé, elle s’est traduite par une déstabilisation des équipes impliquées dans la maîtrise des infections nosocomiales et un relâchement des protocoles de prévention.


Le risque de contracter une infection nosocomiale (et donc la prévalence des patients infectés) varie selon plusieurs critères : 

  • le profil du patient : Les patients de plus de 65 ans et les patients très jeunes, ceux qui sont atteints d’une maladie sévère, qui sont immunodéprimés (séropositivité pour le VIH, chimiothérapie), opérés ou exposés à un dispositif invasif (sonde urinaire, cathéter vasculaire ou intubation/trachéotomie) sont plus touchés que les autres.
  • le type d’établissement : logiquement, les établissements qui prennent en charge les patients les plus vulnérables sont souvent les plus concernés, comme par exemple les centres de lutte contre le cancer.
  • le type de séjour effectué : de la même façon, les patients les plus fragiles et ceux bénéficiant de soins qui imposent des gestes invasifs (intubations, sondes urinaires…) sont les plus exposés : par exemple, 23,2% des patients en réanimation ont contracté une infection nosocomiale en 2022.
  • la durée du séjour : la durée d’hospitalisation augmente le risque d’être infecté au cours du séjour.

Quelles infections contractent-ils ?

Les infections urinaires sont les plus nombreuses (28%), mais rarement graves. Elles sont souvent liées à la pose de sondes urinaires. Viennent ensuite les pneumonies (16,3%) qui sont généralement concomitantes à une intubation et une ventilation assistée, les infections du site opératoire (14,3%) après une intervention chirurgicale, et les bactériémies/septicémies (12,1%) liées à l’introduction de cathéters dans les voies sanguines. Des infections de la peau et les tissus mous ou encore des voies respiratoires supérieures sont également observées. Certaines de ces infections, en particulier parmi les infections pulmonaires et les septicémies, sont graves et peuvent entraîner le décès. 

Trois bactéries et un virus principalement incriminés

Au total, 7,90 % des infections nosocomiales de 2022 étaient liées au SARS-Co-V2. Une fois ces viroses respiratoires écartées, les principaux micro-organismes impliqués étaient :

  • Escherichia coli (22,2 %), qui vit naturellement dans les intestins de chacun
  • Staphylococcus aureus (12,2 %), le fameux « staphylocoque doré », présent dans la muqueuse du nez, de la gorge et sur le périnée d’environ 15 à 30 % des individus
  • Enterococcus faecalis (7 %), une autre bactérie naturellement présente dans les intestins
  • Pseudomonas aeruginosa (6,9 %), qui se développe dans les sols et en milieu humide (robinets, tuyauteries...)

Dans les autres cas, les germes isolés sont d’autres bactéries comme des streptocoques, des entérobactéries autres que E. coliClostridium difficile ou encore Acinetobacter baumannii.


Des infections plus souvent endogènes qu’exogènes

Quand on parle d’infections nosocomiales bactériennes, il faut savoir que la principale source de contamination est le patient lui-même, et non l’environnement hospitalier (matériel, air, eau...) ou le personnel : le patient est infecté par ses propres micro-organismes au cours de certains soins (actes chirurgicaux, sondage urinaire, respiration artificielle...). Les soignants jouent principalement un rôle de vecteur, notamment par l’intermédiaire de leurs mains (on parle de transmission manuportée).

Cependant, la pandémie de Covid-19 a mis en lumière le fardeau jusque-là sous-estimé des infections nosocomiales liées à des virus : le nombre de cas nosocomiaux de Covid-19, et le nombre de décès associés, ont illustré de façon dramatique la nécessité de mieux prendre en compte les infections respiratoires virales à l’hôpital : SARS-CoV‑2, virus respiratoire syncytial (VRS), grippe… Les politiques de prévention qui sont développées depuis intègrent mieux ce risque infectieux. 


La résistance bactérienne : un problème très sérieux 

Parmi les bactéries souvent incriminées dans les infections nosocomiales, plusieurs présentent des résistances à des antibiotiques. Il s’agit principalement de souches de S. aureus résistantes à la méticilline (même si cette résistance est actuellement en diminution), de P. aeruginosa qui résistent à la ceftazidime ou aux carbapénèmes, et surtout d’entérobactéries (par exemple E. coli ou Klebsiella pneumoniae) de plus en plus souvent résistantes aux céphalosporines de 3e génération (C3G). Ces résistances obligent à changer d’antibiotique en cours de traitement et à utiliser des antibiotiques par voie intraveineuse. Elles augmentent le risque de rechute de l’infection.

Certaines bactéries sont même dites « hautement résistantes émergentes » (BHRe), c’est-à-dire résistantes à quasiment tous les antibiotiques disponibles : les infections qui les impliquent sont donc particulièrement difficiles à traiter. Initialement, elles étaient plus fréquemment identifiées dans certaines régions du globe (Asie, Moyen-Orient), mais leur dissémination est actuellement mondiale, y compris en France où leur incidence a doublé entre 2019 et 2022. Des stratégies actives de prévention (dépistage et de mise en place de précautions particulières pour les patients porteurs) ont été mises en place dans les établissements de santé pour limiter leur transmission entre les patients.

Pour en savoir plus sur la résistance aux antibiotiques, consulter notre dossier d’information

Prévention : toute une organisation

L’organisation de la prévention est décidée par le ministère de la Santé qui établit une feuille de route sur la base des données nationales du Répia (Réseau de prévention des infections associées aux soins et de l’antibiorésistance). Ce réseau est en lien avec les établissements de santé publics et privés, qui lui transmettent un ensemble d’indicateurs : nombres d’infections nosocomiales enregistrés, cas d’antibiorésistance en EHPAD et en soins de ville, consommation de produits hydroalcooliques dans les établissements, hygiène des mains en établissement médico-social, lutte contre les bactéries résistantes… La politique nationale s’appuie sur ces indicateurs. Elle est ensuite déclinée au niveau régional, par le biais des agences régionales de santé (ARS), puis à l’échelle de chaque structure de soins. Tous les établissements de santé doivent par ailleurs publier périodiquement certains indicateurs qui décrivent l’efficacité des mesures qui sont mises en place localement pour prévenir les infections nosocomiales.

Sur le plan opérationnel, chaque établissement se dote d’un Comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN), intégré dans les Commissions médicales d’établissement. La fonction des CLIN est d’améliorer les mesures de prévention du risque infectieux en fonction des données de surveillance et des progrès médicaux et techniques. Pour cela, ils déclinent les recommandations nationales et mettent au point des actions ciblées en fonction des particularités de leur établissement et des patients. Les directives sont relayées dans les services par les équipes opérationnelles d’hygiène (EOH). Ces EOH surveillent le risque et les taux d’infections nosocomiales. Elles coordonnent la prévention et la gestion du risque infectieux lorsque les unités de soins signalent des cas nosocomiaux. Elles gèrent aussi le risque environnemental (contrôle du risque lié à l’air, à l’eau…) et sont aux côtés des équipes pour former les personnels et les accompagner pour améliorer leurs pratiques.

Principes généraux de prévention

Personnels soignants, patients et visiteurs doivent respecter les mesures de prévention du risque infectieux établies par l’établissement :

  • La transmission des germes à l’hôpital est principalement manuportée. L’hygiène des mains par friction hydro-alcoolique est donc une mesure essentielle de prévention, avant et après tout contact avec un patient ou son environnement, et a fortiori avant ou après un soin. Il est maintenant établi que cette pratique est supérieure à toutes les autres techniques d’hygiène des mains. Elle est efficace sur l’immense majorité des germes, y compris ceux qui sont résistants aux antibiotiques. C’est donc la technique de référence dans les établissements de santé.
  • Le port du masque est nécessaire pour toute personne (soignant, visiteur, patient) avec des signes d’infection respiratoire, mêmes minimes (nez qui coule, éternuements, toux…).
  • En période épidémique de viroses respiratoires (grippe, Covid-19), les établissements de santé peuvent décider d’imposer transitoirement le port du masque par tous et en toutes circonstances au sein de leurs locaux.
  • La désinfection de tous les matériels partagés entre deux patients permet de limiter les risques de transmission d’agents infectieux.
  • En cas de geste invasif, la peau du patient doit être désinfectée et le matériel utilisé pour ces actes désinfecté et/ou stérilisé selon les protocoles définis par l’hôpital et par des recommandations nationales. Certains matériaux, comme le silicone, permettent de réduire le risque en ralentissant sa colonisation naturelle par les bactéries.
  • Afin de repérer ceux potentiellement porteurs de bactéries hautement résistantes aux antibiotiques (BHRe) dès leur admission, tous les patients sont interrogés sur leurs antécédents d’hospitalisation dans des zones à risque. Le cas échéant, une recherche microbiologique est conduite, et les patients porteurs sont pris en charge selon des conditions de prévention particulières (chambre individuelle, équipement de protection individuelle…) afin de limiter les transmissions croisées.
  • Des mesures de contrôle et de surveillance de l’air et de l’eau sont régulièrement réalisées en établissement de soins afin de prévenir les risques d’infection par des germes pathogènes liés à l’environnement (légionellose, aspergillose).

Des mesures spécifiques peuvent être adoptées localement en cas d’épidémie émergente.

Les enjeux de la recherche

Développer des approches innovantes en prévention du risque infectieux nécessite idéalement une démarche multidisciplinaire pour intégrer la diversité des expertises concernées qu’elles soient biologiques, physiques, cliniques, informatiques, environnementales, mais aussi sociales et économiques. Cette pluridisciplinarité permet de mieux l’ensemble des enjeux relatifs au risque nosocomial.

Comprendre les modalités de propagation des agents pathogènes

La détection et la compréhension des épidémies à l’échelle d’un établissement reposent classiquement sur des analyses microbiologiques et épidémiologiques. Ces approches classiques peuvent être complétées par des techniques de séquençage génomique, qui permettent d’identifier beaucoup plus précisément les voies de transmission des agents infectieux dans le temps et dans l’espace. Mais des situations de transmission parmi les plus insoupçonnées peuvent être difficiles à repérer, par exemple lorsque les voies de contamination ou les activités concernées rendent les cas plus sporadiques ou plus dispersés au sein d’un établissement. L’analyse épidémiologique des dossiers médicaux d’une structure de soin par intelligence artificielle (machine learning), combinée aux analyses conventionnelles peuvent alors aider à les identifier.

L’utilisation d’outils connectés (capteurs sur des produits, des soignants...) est une piste pour aider les soignants à améliorer leurs pratiques de soins, notamment concernant l’hygiène des mains, l’usage de matériel réutilisable, la circulation dans les locaux… Les données recueillies sont analysées et leurs conclusions associées à des démarches de sciences humaines et sociales pour aider les équipes à mieux prendre conscience des risques inhérents à leur activité et à améliorer leurs pratiques (par exemple concernant le recours aux solutions hydro-alcooliques par les soignants ou la prescription des antibiotiques par les médecins).

D’autres approches reposent sur des méthodes physiques et informatiques : par exemple, la modélisation des locaux et des flux d’air dans un service qui reçoit des patients fragiles peut aider les équipes à prendre conscience de la circulation des particules aéroportées, qui peuvent transporter des pathogènes comme le SARS-CoV‑2. Ces démarches peuvent conduire à adapter les outils de prévention et à sensibiliser les professionnels de santé sur les risques dans leur pratique.

L’utilisation de matériaux bactéricides ou qui limitent l’adhésion des bactéries (bactériostatiques) est également utile tant sur le plan de la conception des salles de soins et des équipements (lits, mobilier…) que des dispositifs médicaux.

Mieux comprendre la biologie des infections nosocomiales pour mieux les traiter

En Europe comme aux États-Unis, des initiatives publiques émergent pour relancer les recherches visant à la mise au point de nouveaux antibiotiques. La question des infections nosocomiales est indissociable de celle de la résistance antibiotique. Car les outils de lutte contre les germes, notamment les antibiotiques, peuvent conduire au développement de résistances qui rendent ces pathogènes difficiles voire, dans certains cas, impossibles à éradiquer. La recherche fondamentale est donc indispensable pour mieux connaître la physiologie, l’écologie et l’évolution des micro-organismes, et notamment ceux qui ont des capacités à rester quiescents ou à se protéger par la production de biofilms. Des équipes s’attellent donc à découvrir des outils qui permettaient de moduler la virulence d’un pathogène, plutôt que de chercher à le détruire directement. Enfin, la recherche est très active sur le microbiote digestif car sa composition est cruciale pour l’hébergement, la transmission et l’expression des entérobactéries. Mieux décrire ces facteurs concoure à mieux comprendre l’épidémiologie des infections nosocomiales pour ce type de bactéries. 

Pour aller plus loin