Patients experts : des risques de dévoiement ?

Le temps du paternalisme médical, où le savoir était l’apanage des seuls médecins, semble aujourd’hui révolu : les patients sont de plus en plus nombreux à revendiquer une expertise que n’ont pas les médecins, les chercheurs et les décideurs publics ou privés. Et leur connaissance empirique de la maladie est de mieux en mieux reconnue, si l’on en juge par leur inclusion à différents niveaux de la recherche. Mais suffit-il d’avoir été ou d’être malade pour porter une parole légitime, notamment dans la recherche en santé ?

Un article à retrouver dans le magazine de l’Inserm n°53

Aujourd’hui, les patients sont partout ! Dans les hôpitaux, les laboratoires de recherche ou la société civile, ils ne sont pas seulement soignés, mais accompagnent d’autres malades et participent à l’orientation des décisions médicales, scientifiques et sociales. Hélas, en parallèle, on voit fleurir sur le web des plateformes qui monnayent à bas prix les conseils de patients autoproclamés « experts », formés ou non au domaine dont ils se réclament, diplômés ou non, membres ou non d’associations. Le terme de « patient expert » serait-il un argument de vente ? Faut-il privilégier d’autres appellations ?

L’avis de Marguerite Friconneau

Marguerite Friconneau
© Jean-Yves Séguy/AFM-Téléthon

L’inclusion de patients experts dans la recherche et le soin résulte en France d’une longue histoire d’actions associatives, militantes et politiques, jalonnée par la lutte contre le sida et le diabète, et par la loi Kouchner de 2002 sur le droit des malades. Cette loi, qui consacre la représentation des patients dans les institutions de santé, commence à s’appliquer malgré la résistance de certains médecins. Elle pose les bases d’une véritable démocratie sanitaire ! Mais des dérives ont lieu, faute d’un encadrement suffisant des pratiques : un nombre croissant de personnes indépendantes déclarent sur Internet une expertise qu’aucune formation n’atteste, par exemple en addictologie. Sans appartenir à une association ni dialoguer avec le monde de la santé, elles s’autorisent à conseiller à la volée patients, médecins, chercheurs, employeurs… Pour cette raison, les associations veulent que la notion de « patient expert » soit mieux définie. Un patient expert, ou patient partenaire, est un individu qui est concerné comme patient ou parent par une maladie chronique et développe au fil du temps une connaissance fine de la maladie. Il se forme dans des groupes de malades et des réunions d’information scientifique, et incarne le vécu de la maladie dans des domaines d’application variés : inclusion du handicap dans la ville, défense de l’accès aux médicaments… En recherche, il pointe les effets indésirables d’un traitement dont les médecins ignorent à quel point il altère la qualité de vie : la balance bénéfice/risque d’un médicament ou les risques d’une mauvaise observance thérapeutique s’en trouvent alors réévalués. Enfin, les patients experts participent à l’orientation des recherches, pour que les priorités définies se rapprochent des besoins immédiats des malades. Leur contribution est telle que l’industrie pharmaceutique devrait constituer un fonds, géré par les associations, pour les rémunérer et les former ! Sans ce soutien régulier, la sécurité de leur expertise risque d’être compromise par la stratégie commerciale d’entreprises sans légitimité, qui transforment les connaissances indispensables des patients en vulgaire sous-service.

Marguerite Friconneau est membre du groupe Myasthénie de l’AFM-Téléthon.

L’avis de Catherine Tourette-Turgis

Catherine Tourette-Turgis
© Université des patients

L’Université des patients-Sorbonne Université a diplômé ou formé plus de 300 patients depuis 2010. À l’issue de ces formations, plus de 10 % d’entre eux ont été recrutés et salariés dans des services de soin, notamment en oncologie. On parle de moins en moins de patient expert, quand la notion de patient partenaire met l’accent sur la nécessité d’une approche collaborative entre soignants et patients — qui s’impose d’autant plus que les approches ambulatoires du soin sont de plus en plus fréquentes. Un patient partenaire partage l’expérience vécue de la maladie et collabore comme membre à part entière de l’équipe de soins. Mais pour être partenaire… il doit avoir été formé sur les composantes médicales et thérapeutiques des maladies, l’ingénierie des projets de recherche, et les compétences relationnelles liées à l’accompagnement des malades. Un nombre croissant de patients diplômés prend des initiatives dans des organisations publiques et privées et invente de nouvelles formes d’éducation thérapeutique sur des thèmes variés : cancer et travail, maladies chroniques et travail, pair-aidance en santé mentale… Hors de France, la pair-aidance en psychiatrie bénéficie de formations certifiées et labellisées très structurées depuis déjà plus de 20 ans : ce métier et cette fonction sont reconnus comme fondamentaux. Il était temps que la France en fasse autant : les pairs aidants symbolisent pour les patients un espoir de rémission. Dans les réunions d’équipes de soin, leur simple présence freine toute velléité de paternalisme médical… Quant au partenariat entre patients et institutions de soins, il est développé au Québec, en Suisse, en Belgique et maintenant en France : suite aux recommandations de la Haute Autorité de santé de juillet 2020, l’engagement des usagers dans le système de santé fait partie des nouveaux critères de certification des hôpitaux.

Catherine Tourette-Turgis est professeure et fondatrice de l’Université des patients-Sorbonne Université, chercheuse au Cnam.

L’avis de Flavie Mathieu

Flavie Mathieu
© Coll. privée

Les patients experts jouent un rôle majeur lorsqu’ils forment les professionnels au vécu de la maladie et participent à la coconstruction du parcours de soins. Leurs compétences sont attestées par un diplôme universitaire qui assoit la légitimité des titulaires. Mais dans la recherche, beaucoup jouent encore un rôle de « patients alibis », comme si leur simple présence suffisait à légitimer l’étude, sans qu’on leur confère un pouvoir de décision réel. Il en va ainsi dans nombre de comités de pilotage, chargés de veiller au bon déroulement de projets de recherche : des « patients experts », sans formation préalable à la recherche clinique, y ont un rôle purement consultatif… Loin de ces faux-semblants, le collège des relecteurs du service Sciences et société de l’Inserm inclut 70 membres d’associations de malades, qui relisent les documents remis aux participants aux recherches — notice d’information, formulaire de consentement et protocole de recherche — pour s’assurer de leur clarté et de leur accessibilité. Eux, sont plutôt des « experts patients », porte-paroles de l’expertise patients ! Car il n’est pas aisé pour les chercheurs de se mettre à la place des participants à une étude clinique. Les protocoles qu’ils proposent sont parfois difficiles à suivre pour qui est déjà sujet à la fatigue de la maladie et aux effets secondaires des traitements : trop de consultations, trop de contraintes, notamment dans le cadre d’une maladie chronique. À l’Inserm, les relecteurs sont formés aux concepts et aux mots clés de la recherche clinique afin d’améliorer la qualité de l’information transmise aux participants : c’est le préalable à un consentement vraiment éclairé. Enfin, ils proposent des modifications du protocole clinique pour améliorer le recrutement des patients, favoriser leur participation et l’adhésion à l’étude sur le temps long… et réduire les délais d’obtention des autorisations pour démarrer la recherche. L’apport des patients est irremplaçable : c’est bien avec eux que la recherche médicale avance !

Flavie Mathieu est responsable du collège des relecteurs de l’Inserm.

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